"S'il convient maintenant d'ouvrir les yeux, ce sera comme on remonte du fond d'un lac, brasse lente de la pensée,vers la surface enfin, où nous attend d'une seule vue l'étrangeté des commencements."
Patricia CASTEX-MENIER, Chemins d'éveil
La poésie que nous aimons est mouvement ; l'écriture, déport et transport. Scrutant la remontée des écrits, des profondeurs vers la surface, nous voici, de page en page, à épingler tout ce qui bouge, nage, vole, voyage, a voyagé ! Nous voici, le temps d'un récit, d'un poème, dans l'illusion de fixer, tel le photographe, du maelström de nos pensées, de nos images et affects, l'imprédictible venue aux mots.
Que savons-nous vraiment de la naissance dans la langue des hommes de cette matière dont hier encore nous dressions la table (1) ? Quelle est notre science ? Décomposer, séparer, et ralentir le mouvement, le temps de le dire, quelle démiurgique prétention quand l'œuvre, par nature, est rétive.
Pourtant, voici les textes ! Ils retournent aux origines, lisent des traces, mesurent le tremblement, filent la métaphore marine, questionnent le travail du peintre, scrutent la technique du graveur, frôlant à chaque instant le sens, lançant vers lui bouts, filins et filets, à s'amarrer presque !
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On ne rend pas justice à la surface en l'opposant à la profondeur. C'est faire bien peu de cas de la chose que seulement juger du faible poids de l'une à l'aune d'une supposée consistance de l'autre.
Tu es plus radical, mon ami (2), quand tu tranches tout simplement l'évidence du lien. "La surface n'existe pas, me dis-tu, elle n'est que le volume qu'elle délimite". "De ce volume, elle est signe et non signifié". Dans ton sillage, j'ajoute qu'elle serait aussi bien peau, porosité, passage. Quant au texte, surface dialoguant avec la matière, il n'offrirait, à te suivre, pour qui sait le lire, rien d'autre qu'un "sens premier, littéral."
Or, plus surprenants encore, sont les philosophes (3). À la recherche d'une logique du sens, ils parient sur une surface qui ne doit plus rien à la profondeur. "Dans sa propre découverte, écrit Deleuze, Nietzsche a entrevu comme dans un rêve le moyen de fouler la terre, de l'effleurer, de danser et de ramener à la surface ce qui restait des monstres du fond et des figures du ciel." Se dessine alors une autre topologie, une surface "effleurée par les pas de danse", "une peau hantée par des évènements".
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Alors, acceptons le défi ! Mystère du point et du contact. Tangente qui se croit paisible, en équilibre sur sa courbe. Un instant productive est la fiction de l'arrêt mais fiction, elle reste.
Osons, donc ! Survolons le champ des signes à nous ouvert et que léger soit notre pas. Recherchons en nous, à même la peau, l'effet de sa texture. Sous nos doigts, sous nos pieds, tantôt grain, tantôt bulle d'air, que tout nous arrive, que tout nous mette en alerte, car déjà, poussés vers l'horizon, nous traçons la route, direction l'infini. Devant nous, c'est "l'échappée belle".
Oui, nous avons rendez-vous.
Filigranes (M.N.)
(1) "La matière de l'écriture" - (Vol 1) "Table des matières" / (Vol 2) "Vers la surface" / (Vol 3) "L'échappée belle"
(2) J-J.M.
(3) Je tire ces réflexions de la lecture de Ce que peut la surface (Marie Bardet) qui opère un retour à Friedrich Nietzsche via Gilles Deleuze.