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Anne Chiummo, artiste mime

 

Je suis née à Marseille, en 1960. Marseille c'est ma ville, c'est toute mon enfance et toute ma vie, jusqu' à aujourd'hui encore. Sauf, un épisode parisien, de deux années et quelques mois, à la fin des années 80. Le mime était déjà mon métier, et je voulais découvrir de nouvelles pratiques. J'ai notamment fait un stage avec Ludwik Flaszen, cofondateur avec Jerzy Grotowski du Théâtre Laboratoire. Fin des années 90, j'ai créé le Garance Théâtre, une structure pour produire mes spectacles. J'ai choisi Garance par référence au personnage féminin dans Les enfants du paradis de Marcel Carné. C'est un film sur la vie de Jean-Gaspard Debureau, le fameux mime du XIXe siècle et le créateur du Pierrot.

Quelle a été votre première rencontre avec le mime ?

Ç'a été une photo. Après le bac, une amie en week-end de stage de mime avec Jacques Durbec, m'a montré une photo d'une fille, le visage maquillée. Ce visage tout blanc a provoqué une émotion. Jacques Durbec avait une compagnie, le Mime Théâtre de Marseille. Je me suis inscrite à ses cours. Il a été mon premier professeur. En 82, j'intègre sa compagnie qui s'installe dans un nouveau lieu, La Nef. Une ancienne église.
Au début, je voulais faire de la peinture. C'était pour ça que je m'étais inscrite aux Beaux-Arts de Marseille. Mais j'aimais déjà le cinéma muet. Je n'étais pas du tout ouverte à être en représentation sur une scène. Je n'aimais pas être exposée aux yeux des autres. J'étais timide et pas du tout physique. Pour revenir au début de mon parcours. En même temps que ma vie à La Nef, je développais ma pratique professionnelle en suivant des stages à Paris avec Pinok et Matho. Je voudrais dire qu'en 2016, elles ont fait paraître un livre, Une saga du mime, sur l'histoire du mime de l'antiquité aux années 70. C'est un apport qui aide à mieux comprendre le mime. Aujourd'hui, elles ont plus de 80 ans et habitent toujours Paris.

 

Marseille -t-elle a inspiré votre amour du mime ?

Marseille n'a pas inspirée mon amour du mime. Mais elle a une histoire avec le mime. Au XIXe siècle, le mime est un art très populaire. A l'Alcazar, Louis Rouffe et sa troupe joue les pantomimes, transmises par Charles Debureau, fils de Jean-Gaspard Debureau, créateur du Pierrot. Pour les Marseillais, il est « Le sublime homme blanc ». Il crée aussi ses propres spectacles, sur la vie du peuple marseillais (Les cigarières, Le pêcheur de Saint Jean…). Il meurt à 36 ans. Son public, la presse et les artistes du spectacle font ériger à sa mémoire un monument au cimetière Saint Pierre. Son élève, Séverin lui succède au Palais de cristal. Il joue à Paris et dans le monde entier. Il meurt en 1930 et avec lui s'éteint la pantomime. J'ai déjà parlé du Mime Théâtre de Marseille. Dans les années 80, il actualise la tradition du mime et lui redonne un lieu La Nef. Maintenant, je travaille en solo à Marseille et je fais un mime contemporain.

 

De quels artistes prédécesseurs vous sentez-vous l'héritière ou la dépositaire ?
Le mime est-il un art qui meurt ou qui mute ?

Je ne me sens ni héritière, ni dépositaire. Mais on ne vient pas de nulle part ! J'ai l'impression de relayer à mon tour tous ceux que je viens de vous citer. Cet art n'est pas mort du tout, je dirais donc, art qui mute! Le mime existe depuis l'Antiquité ou plus ? La transmission orale existait avant l'écriture. On peut imaginer que des danses imitatives ont été transmises de génération en génération. Dans l'Histoire des spectacles de La Pléiade, Tristan Rémy écrit que le mime, je ne me souviens plus exactement de la citation, était à la fois un acteur et un genre de comédie imitative dont l'inventeur serait le poète grec Sophron, de Syracuse au Ve siècle AJC. Le spectacle de mime était très populaire à Rome. Les romains employaient le terme grec de Saltatio pour Art du geste. Le mime a traversé le temps avec des hauts et des bas. Il a eu son apogée au XIXe siècle avec la pantomime blanche. Au XXe siècle, Etienne Decroux est le rénovateur du mime. Sa technique du Mime corporel est une véritable grammaire. Elle permet une grande palette d'interprétation. Il a formé des artistes à l'univers très éloigné Marcel Marceau, Pinok et Matho … Aujourd'hui, le mot Mime est un terme générique qui couvre une grande diversité de style.

Aujourd'hui, le mime existe toujours en tant qu'art autonome. Mais il participe aussi du métissage entre les différents genres, la Marionnette, le Cirque, les Arts de la rue…C'est une forme de théâtre où le corps est dramaturge. Le corps du l'acteur/mime tisse le sens. Ses moyens d'expression sont l'attitude, le geste, la mimique. Pinok et Matho ont défini trois styles, l'évocation où l'homme peuple l'espace d'objets illusoires, le jeu comédien où l'homme joue l'Homme, le cosmomorphisme où l'homme joue l'Univers. Ce jeu d'identification avec l'Univers conduit à un mime plus métaphorique que narratif. D'anecdotique le mime devient symbolique. Je dirais que l'acteur/mime contemporain tend peut-être vers l'idéal de la « sur- marionnette » de Edward Gordon Craig.* Ce concept rêvé d'un acteur renouvelé, d'un jeu nouveau au-delà de la représentation ouvre la voie à une forme de théâtre opposé à tout réalisme.

*Edward Gordon Craig (1872-1966) : acteur, metteur en scène,
théoricien et décorateur de théâtre britannique.

 

Et l'écriture, quelle forme prend-elle au coeur du mime ?

Oui, il y a écriture mais pas avec des mots. Le mime est un acteur/créateur. La technique du mime est une grammaire, un outil de mise en forme de la pensée qui nait dans le corps. Le sens émerge des actions du corps directement sur le plateau.

Dans mon dernier spectacle Argia, les étapes du processus créatif sont, dans un premier temps, l'improvisation à partir de thèmes mythologiques, géométriques, ludiques, à partir d'objets, de personnages pour trouver des matériaux plastique, rythmique, spatial. Dans un second temps, la composition à partir du buisson de matériaux, ce qui implique de sélectionner, couper, élaguer, gommer, estomper, ciseler… Un exemple, j'improvise sur le thème d'Arachné, je compose une séquence. Plus tard, j'entreprends un travail sur la forme des pièces de l'échiquier, sur leur déplacement, sur les lignes de l'espace de l'échiquier. Je joue sur les inversions : le rectiligne se brise, la droite devient sinusoïde, le hiératique devient monstrueux. La figurine qui devient prégnante est la reine folle. Je reprends la séquence d'Arachné, je coupe, j'élague, je ne garde que l'araignée. Par le jeu du montage, l'espace de l'échiquier devient le théâtre d'une réalité inversée et labyrinthique dont le monstre est l'araignée. Antonin Artaud parlait de la «substitution à la poésie du langage, d'une poésie dans l'espace.

Les mimes ont en général une mémoire corporelle très développée. Pour ma part, je peux reprendre une pièce que je n'ai pas jouée depuis longtemps et mon corps se souvient des attitudes, des gestes, des déplacements … Je pratique néanmoins une forme d'écriture pour mémoire. Au fur et à mesure que je fixe les compositions, je les note sous forme de story board. Je dessine des figurines en mouvement avec des légendes en termes techniques, des plans scéniques pour la mise en scène. La captation vidéo d'un spectacle est aussi une trace. L'évolution des outils numériques est très rapide, elle pose le problème de la conservation et de la lecture dans le futur. Pour la transmission des pièces de mime, les supports papier et numérique complètent la transmission orale.

Anne Chiummo

(c) Photo Chris Boyer

 

Se pose parallèlement la question du silence en mime : Pourquoi ?
Est-ce une méfiance par rapport à la langue ? Par rapport aux autres ?
Une souffrance ou un bonheur ?

Le silence ou l'absence de parole sont historique ou esthétique. Au XVIIIe siècle le théâtre est soumis au régime des privilèges. La Comédie Française et l'Opéra, concurrencés par les théâtres de foire, obtiennent l'interdiction des pièces dialoguées et chantées. C'est la naissance de la pantomime. Elle vivra jusqu'en 1930. Au XXe siècle, Etienne Decroux garde l'absence de parole comme outil pour renouveler l'art de l'acteur. Pour ma part, dans mes spectacles, la musique accompagne des images en action. La perception est directe et sensorielle. La parole n'est pas exclue mais elle n'est pas prépondérante. Mes spectacles s'adressent à un spectateur actif qui a sa part de travail à faire. Il perçoit et compose le sens avec ses propres correspondances sensorielles.

 

Haïku

En 2013, j'ai conçu et réalisé une performance mimographique « Silenci », pour le 5ème Festival du Livre de La Canebière. Elle s'est déroulée en deux lieu : la fontaine asséchée du square Léon Blum et le débarcadère de l'île du Frioul. J'ai travaillé en collaboration avec l'atelier d'écriture de l'Ecrit du sud et le plasticien René Bonnal-Dao. J'ai demandé au groupe d'écrivants de composer des haïkus sur le thème du silence. Ils nous ont soumis un panel de textes. Le groupe des mimes a choisi quatre poèmes. Ils ont improvisé sur la matière mot. A partir des poèmes et des improvisations des mimes, le plasticien a réalisé des paravents sur lesquels il a peint des bribes de haïkus. J'ai guidé la composition des mimographies et les ai mises en scène dans l'installation. Les haïkus, tercets japonais, s'animaient dans les compositions gestuelles que René Bonnal-Dao recomposait graphiquement dans son installation. Donc trois formes d'écriture, poétique, gestuelle et graphique.

 

Le mime est-il en rapport avec l'enfance ?

Aucun avec mon enfance mais beaucoup avec l'enfance en général... Le sensoriel est la porte de l'univers, pour un enfant ! Dans les années 1990, Giacomo Rizzolati, directeur du Département de neuroscience de l'université de Parme, identifie les neurones miroirs. Notre système miroir s'active quand nous effectuons une action ou éprouvons une émotion mais aussi quand nous percevons une action ou une émotion vécues par autrui. C'est la clé de l'apprentissage mimétique ! Bien avant la parole, l'enfant mime pour apprendre le monde.

Pinok et Matho sont deux femmes…
Vous êtes une artiste femme.
Peut-on parler d'une approche sexuée du mime ?

La création artistique n'est pas genrée, le mime ne fait pas exception. La plus grande liberté est nécessaire aux artistes pour mettre en forme leur univers.

 

Parlez-nous de votre travail au quotidien

Au quotidien, c'est entretenir mon outil de travail. Je fais de la natation, des exercices de musculation, d'assouplissement, la barre de technique de mime…

Concevoir un spectacle, c'est le penser et le réaliser dans sa globalité, le jeu, les accessoires, les costumes… Pour Le carnaval des animaux, un bestiaire sur la musique de Camille Saint Saëns, en mime et masque. J'ai imaginé et construit les masques adaptés à la mimographie. L'élaboration peut prendre plusieurs années, comme pour Argia.

Entre les étapes de travail, j'ai besoin de temps de pause … Je lis…Je rêve… Mon cerveau fait son travail de maturation… Pour finaliser, je répète à un rythme soutenu pour acquérir des automatismes et libérer l'interprétation. Je présente mes spectacles, tout public, jeune public, spectacles de rue…J'enseigne le mime aux amateurs mais aussi aux professionnels dans le cadre de l'AFDAS.

Le jour où mes limites physiques mettront fin aux spectacles, j'espère transmettre mon art encore longtemps par l'enseignement et le conseil artistique.

 

Argia, votre nouveau spectacle
fait écho à l'imaginaire archaïque sarde

« Argia », dans la langue basque, ça veut dire lumière. Je n'ai pas de lien avec la culture basque mais avec la culture sarde. Je suis d'origine sarde. Jje n'avais jamais entendu parler du rite de l'Argia dans mon récit familial. Les références culturelles de mon imaginaire sont occidentales et méditerranéennes. Quand j'étais enfant, j'ai entendu des tarentelles napolitaines. Dans les années 1990, j'ai découvert la tarentelle des Pouilles par un spectacle de chant et de danse du groupe Arakne Mediterannea.

Il y a une dizaine d'années, j'ai entendu parler du tarentisme des Pouilles et visionné un film "La Taranta", inspiré par les travaux d'Ernesto de Martino, un ethnologue italien. Je suis entrée en contact avec l'imaginaire collectif de la société villageoise sarde par la découverte des écrits de Clara Gallini. Mon spectacle met en scène une rêverie d'ordre mythique autour de la figure de l'araignée qui fait écho à l'imaginaire archaïque sarde. Je tiens à dire qu'il est de facture contemporaine.

Argia en langue sarde c'est l'araignée à la fois l'insecte réel et un être mythique venu du monde des morts. Argia est à la fois la malmignatte, araignée réelle, dont la piqûre cause un délire de trois jours et une femme morte dont l'âme possèderait la personne piquée. Pour accompagner les personnes piquées, la société villageoise sarde pratiquait un rituel de guérison par le jeu de rôle et la pantomime, jusqu'au milieu de XX° siècle. J'ai découvert son existence par le livre de l'ethnologue italienne Clara Gallini « La danse de l'Argia ».

Ce spectacle est une libre interprétation du rituel la danse de l'Argia. Il met en scène par trois tableaux oniriques les visions de Blanche, piquée par Argia dans son enfance. A l'âge adulte le venin coule encore dans ses veines ce qui lui donne la faculté de passer d'un monde à l'autre, juste en manipulant des objets. Une coupe, un miroir… un éventail, un échiquier, un globe céleste. Elle est possédée par toutes les pièces de l'échiquier. Surgit Argia, la maîtresse du jeu qui la fait passer sur l'autre rive… pour l'ultime voyage ? Mais la vie est plus forte que la mort !

Pour Argia, j'ai écrit des textes courts, poétiques. Jean-Pascal Mouthier en maître de cérémonie les joue pour introduire chaque tableau. Ils sont le lien entre les visions de Blanche et le public. Comme je l'ai dit, le corps de l'acteur/mime est dramaturge. Il est lieu de tissage du sens par des actions corporelles, par sa relation à l'espace, à la lumière, à la musique, au texte… Plusieurs actions se font simultanément : l'écriture, la mise en scène, le jeu…Elles sont imbriquées. Le concept d' « écriture de plateau » convient au mime contemporain. Il décentre le texte et met en avant un processus créatif, élaboration d'une forme finale.

 

Cet entretien a été mené par Jean-Jacques Maredi
le 3 novembre 2017 au Théâtre de la Comédie, à Marseille