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A l'occasion du 10ème anniversaire de la création de de la revue, en 1994, nous avons publié un entretien avec trois des fondateurs de FILIGRANES. Nous reprenons cet entretien ici.
Il informera le lecteur du projet de la revue et des circonstances dans lesquelles le projet de publier cette revue est né. André BELLATTORE (AB), André CAS (AC), Odette NEUMAYER (ON)) et Michel NEUMAYER (MN) répondent aux questions des personnes présentes lors du séminaire de mai 1994.
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Q - Comment la revue
"Filigranes" a-t-elle été conçue ? Odette Neumayer : Filigranes est née de l'intuition qu'une écriture,
pour éclore, a besoin de trouver des lieux d'accueil,
de rencontre. C'est donc un lieu de ce type que nous avons voulu
d'abord créer. Certains d'entre nous réfutaient l'idée trop facilement
admise que l'écriture serait réservée à
quelques privilégiés et souhaitaient traduire en
actes une vision plus optimiste et plus généreuse
de la création: permettre à "l'homme du commun"
de trouver sa voie singulière. Pour certains encore, il s'agissait par le biais de la revue,
objet médian, de travailler ce que la relation à
l'autre, dans la confrontation des écritures, peut avoir
de rude, de rugueux, d'impossible et pourtant de stimulant. C'est une aventure collective que de fonder une revue. Elle donne
une structure, une ponctuation du temps, des cadres de lecture
du monde, des grilles problématiques. Elle est une chance
de faire traces, d'inscrire l'écriture dans une continuité,
peut-être aussi de témoigner pour garder mémoire.
Dix ans sont passés, et les objectifs initiaux me semblent
toujours justes et d'actualité! André Bellatorre : Au départ, nous étions un groupe d'enseignants
qui se retrouvaient sur le terrain pédagogique dans le
cadre des ateliers d'écriture du GFEN (Groupe Français
d'Education Nouvelle). C'était loin d'être évident
à l'époque de dire: "Pour développer
une pédagogie nouvelle du français, il faut que
les profs écrivent." Que les enfants écrivent,
cela pouvait éventuellement se concevoir, mais que des
enseignants prennent ce risque et en même temps ce plaisir,
cela était frappé d' une espèce d'interdit. Michel Neumayer - Et
j'ajouterais que nous avions aussi envie de publier tout simplement
nos textes écrits pendant ou après les ateliers
d'écriture. Nous nous sommes donné les moyens de
le faire. En 1984, chacun des quatre fondateurs a mis 500 francs
dans le pot commun. Depuis, près de 300 abonnés
ont soutenu cette utopie au quotidien. La revue, sans faire aucun
bénéfice, équilibre tant bien que mal ses
comptes et sort fidèlement trois numéros par an.
Cette gestion financière indépendante des subventions
fait de FILIGRANES un lieu de liberté de création
un peu en marge des grands appels commerciaux et d'une certaine
concurrence. Q - Votre activité
d'écriture a-t-elle changé du fait de devenir animateur(s)
d'une revue ? ON : Il y a dix ans,
mon écriture était une "écriture de
tiroir". Mais dans la mesure où notre groupe était
à l'origine des problématiques et des thèmes,
nous étions tenus d'être plus audacieux dans nos
productions, de lire davantage de poésie et d'écrits
de toutes sortes. Cela nous a conduits à nous attacher
à des auteurs particuliers et à chercher chez eux
l'écho de nos propres questions. AB : Moi, je suis plutôt
quelqu'un qui creuse un sillon... ON : Il y a une relation
profonde entre ton premier texte publié en revue en hommage
à Francis Ponge, et ce que tu fais en ce moment : une
thèse sur cet auteur! AB : A un moment donné,
je ne me suis plus complètement reconnu dans le travail
de Filigranes, j'étais sur le terrain d'une écriture
plus "métatextuelle" que "poétique".
Disons que le sillon s'est continué autrement, par une
recherche sur Francis Ponge. Avec Ponge j'ai commencé par "le comment". J'ai
écrit de petits textes à la manière de ceux
du "Parti pris des choses" sur des objets laissés
pour compte par le poète. J'ai donc essayé "l'appareil
photo", "les myrtilles", etc. jusqu'au jour où
j'ai risqué "le beurre". J'ai alors rapidement
découvert que cet objet avait été écrit
par Francis Ponge. La réalité de la poésie
pongienne avait rattrapé ma fiction. Depuis, je m'intéresse
aussi au "pourquoi". Pour parodier l'un de ses titres,
l'objet de ma recherche serait: "Comment Francis Ponge de
paroles et pourquoi?" Q - La revue est
maintenant pré-adolescente, mais pendant son enfance,
que vous a-t-elle apporté comme joies et comme peines ? MN : Des disputes d'enfants.
Je me souviens de positions qui s'affirmaient. Certains disaient:
"Il faut absolument alterner dans la programmation les numéros
centrés sur une approche formelle de l'écriture,
et des numéros dont l'entrée serait thématique". AB : Ça, c'était
le compromis, justement ! ON : Le premier numéro,
"Fragments" rassemblait des textes épars. A
l'époque, nous commencions à travailler la problématique
du fragment et des dispositifs d'accueil de fragments dans le
sillage de Calvino, Cortazar, Blanchot ... Dans le deuxième
numéro, "L'exception et la règle", nous
cherchions à préciser une théorie de l'écriture.
Ensuite, nous avons travaillé la question du rêve
transcrit comme possible texte souche. De fait, chaque numéro
pouvait être lu selon les deux points de vue, formel et
thématique. L'un et l'autre unifient et ouvrent sur la
diversité. Ils permettent lectures et écritures
plurielles. MN : Notre projet,
dès le départ, était d'associer l'écriture
et la réflexion sur l'écriture. Nous résistions
à l'idée qu'écrire est une affaire d'expression
ou de "vouloir dire". Dans la filiation de l'Oulipo
et surtout de Georges Pérec, nous étions sensibles
aux aspects formels. Nous imposer des contraintes, était
une manière de traiter la question de la maîtrise
/ non-maîtrise d'un auteur face à son texte. A cette
époque, nous animions de nombreux stages sur la lecture
et FILIGRANES nous permettait d'explorer le rapport du lecteur
à l'écriture. La revue était (et est toujours)
pour nous un lieu d'expérimentation et de recherche sur
les multiples facettes de la chose écrite. Q : Quels ont été
les temps forts dans la vie de la revue ? ON : Après
la période d'euphorie du démarrage, il y a eu ce
jour où nous avons décidé que FILIGRANES
existerait, même si nous devions la faire tous les deux,
Michel et moi (rires). Cela nous donna par la suite une grande
tranquillité d'esprit et la capacité d'accueillir,
lors des séminaires, les initiatives et les idées
comme elles se présentent. C'est ainsi que le collectif
de FILIGRANES s'est renouvelé par vagues successives.
C'est ce qui fait l'histoire de la revue.
MN : Un autre temps fort, ce fut la sollicitation de Bruno Grégoire
qui, pour son livre "Poésie(s) d'aujourd'hui"
(Seghers 1989), répertoriait les revues existantes. Nous
lui avons répondu et à partir du moment où
la revue a été signalée par lui, des textes
nous sont parvenus de personnes que nous ne connaissions pas. Des questions nouvelles se posaient: comment intégrer
des textes de personnes qui n'ont jamais lu la revue, et ne savent
rien de nos recherches et expérimentations? Puis, comment
choisir et extraire sans dénaturer, dans les plaquettes
qui nous étaient envoyées, LE texte qui conviendrait
au thème du moment? Quels retours pouvions-nous attendre
de ces poètes inconnus? Q : Est-ce que les
auteurs de Filigranes lui sont fidèles, ou est-ce un lieu
de passage ? ON : Pierre Torrès
a fait des études statistiques là-dessus depuis
les premiers numéros: durée du passage? Nombre
d'auteurs et nombre de textes du même auteur? Auteurs masculins,
féminins? La répartition géographique, en
France, dans les autres pays européens? Sur 100 auteurs la répartition entre hommes et femmes
est de 40 /60. 11 auteurs ont été publiés
au moins 6 fois. 60 auteurs l'ont été entre 3 et
6 fois. En tout, du n°1 au n°28, nous avons publié
178 auteurs. L'abondance des textes reçus nous a mis devant
la question des critères de choix. Il y a actuellement un noyau stable d'une quinzaine de personnes
investies dans la vie de la revue: préparation des séminaires,
choix des thèmes, lecture des textes. Les métiers
représentés parmi les proches de la revue ont évolué:
milieu enseignant, certes, mais aussi bibliothécaire,
infirmière, gynécologue, éducateur de prison,
formateur, analyste de situations de travail, maquettiste. Il reste un point noir dans notre fonctionnement: c'est le courrier
auquel nous répondons souvent avec beaucoup de retard. Q : Sur quels critères
les textes sont-ils choisis ? MN : Les choix se font
en fonction de multiples critères et non d'une supposée
qualité. Une certaine continuité est souhaitée:
publier quelqu'un une seule fois, puis voir son nom disparaître
des sommaires est frustrant. Nous avons eu de multiples discussions lors des comités
de lecture à propos des critères de choix. Dans
le n°25, Michèle Monte en donne le résumé
sous le titre "Qualité ou projet ?". Nous avons
la volonté d'accueillir des premiers textes, ainsi que
des textes sollicités par des membres du collectif, ou
les textes des personnes participant aux séminaires. Nous
sommes également attentifs à la variété
et à la pertinence de l'ensemble des textes dans un numéro
donné , en rapport avec le thème ou la problématique.
L'intérêt subjectif du collectif de lecture pour
tel ou tel texte compte aussi. AB : Dès la
création de FILIGRANES nous avions eu ce débat
sur les critères. Lorsqu'il y avait des numéros
"problématiques", on jaugeait par rapport à
cette problématique. C'était un critère.
Dans "Sur les pas du palimpseste" par exemple, c'était
le jeu, la rencontre entre un texte et d'autres. On essayait
d'évaluer cette créativité qui passait par
un certain nombre de règles. Sur les numéros "thématiques", j'avais
beaucoup plus de difficultés à élaborer
des critères. Cela appelait un autre type de réflexion.
Il me semble que vous êtes allés dans cette direction. MN : Aujourd'hui, c'est
en terme de responsabilité éditoriale que nous
posons la question. Un éditeur ne publie pas un texte,
un livre uniquement sur la "qualité intrinsèque"
du texte (à supposer que cela existe), mais aussi parce
qu'il est dans un réseau de relations et qu'il fait des
choix. ON : Celui ou celle
qui se voit publié(e) dans plusieurs numéros et
donc dans différents contextes où les textes s'appellent,
se répondent, se mettent en valeur les uns les autres,
est renvoyé(e) en tant que sujet, au delà de la
satisfaction narcissique, à sa propre écriture.
Le danger serait de vouloir trop coller au thème au détriment
de l'exploration de la problématique par l'écriture.
Même si le thème "imposé" nous
contraint à sortir de nos territoires. L'imaginaire suppose l'échange, ce n'est pas une affaire
strictement individuelle. Il a besoin de lieux pour se travailler.
Connaître la mise à l'épreuve de la socialisation
enrichit le rapport de chacun à l'imaginaire. Je voudrais ici insister sur le montage. Bien qu'une revue se
lise rarement de façon linéaire, nous ne publions
pas les textes dans n'importe quel ordre. Il y a une logique
du montage. Nous cherchons, travail invisible mais important,
à rendre possible des parcours de lecture. D'où
ces compagnonnages imposés qui surprennent parfois les
auteurs eux-mêmes. Textes en écho, en résonance,
en dissonance. Q : Défendez-vous
une théorie de l'écriture dans FILIGRANES ? AB : Je ne vais pas
reprendre le fameux débat, mais pourquoi pas? A travers
la lecture que je fais de Ponge, ce qui me requiert et m'intéresse,
c'est le fait que soit un des rares poètes qui marie poésie
et réflexion dans ses partis pris d'écriture. C'est
cette espèce de conjonction originale inouïe, qui
me passionne chez lui. Une revue qui se donne pour tâche
de publier des textes reçus de personnes inconnues et
qui sollicite l'explicitation des partis pris d'écriture,
cela me paraît très fécond. MN : Dans l'éditorial,
mais aussi dans "Cursives", se formule quelque chose
d'une théorie de l'écriture. Je cite par exemple
l'éditorial du n°26: "Est sage celui qui écrit,
témoin de l'absurde qui advient en lui et hors de lui,
qui le défie. L'écriture alors soutient l'exploration,
se fait raison, permet la maîtrise provisoire de situations
qui font énigme, devient protection contre tous les surgissements
d'images, les désastres magiquement éloignés
pour un temps, le sens de l'histoire retrouvé après
avoir été perdu." Cette réflexion s'énonce moins sous forme didactique
que poétique. Si l'on relisait les éditos, on y
repèrerait les fils conducteurs d'une théorie qui
existe, mais ne s'affirme pas dans les formes habituelles d'une
théorie. Ecrire de la théorie aujourd'hui est plus difficile qu'il
y a dix ans. Un certain esprit de système qui prévalait
a été battu en brèche dans beaucoup de domaines.
Il y a moins de certitudes, et c'est un enjeu de l'écriture
actuelle que de retrouver les voies d'une écriture théorique
qui ne soit pas une écriture de système. ON : En fait, l'exigence
d'André, de prise de distance, d'un métalangage
sur le texte, nous a beaucoup aidés. Ceux qui fréquentent
les séminaires à l'heure actuelle savent que nous
y consacrons beaucoup de temps, même si nous ne publions
qu'une partie de cette réflexion, soucieux que le discours
n'annule pas ce qui essaie de sourdre de la vie. AB : Je ne voudrais
pas qu'on "accuse" trop les positions, qu'on se contente
de dire : "d'un côté, il y a les didactiques,
les enseignants, les laborieux qui mettent en place un discours
théorique, pesant, et de l'autre, il y a les poètes,
légers... etc." Il pourrait être intéressant de trouver un discours
qui fasse un peu trembler cette différence entre le "théorique"
et le "scriptural", entre le "textuel" et
le "métatextuel". oOo Cet entretien enregistré a été retranscrit par Sabine Gaulier.(Mai 1994)
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FILIGRANES (filigran) n.m. (1673) du lat.
"filigrana" fil à grain).Ouvrage fait de fils de métal (argent ou
or),de fils de verre,entrelacés et soudés. Dessin qui apparaît en
transparence dans certains papiers. (Fig.) Lire en filigrane, entre les lignes, deviner ce qui n'est pas
explicitement dit dans le texte. |