Marie-Françoise Belaïzi n°56

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Cet entretien est paru dans
Filigranes n°56
"Poétique du reste" Juillet 2003
 

"Ecrire"

Entretien avec Marie-Françoise Belaïzi,
 

"Ce qui traverse nos explora–tions littéraires c'est bien sûr l'attention aux mots, mots qui sont le matériau de base de l'écrivain. Mais un matériau pour lequel j'éprouve une affection pro–fonde, un grand respect, et un attache–ment indéfectible. Si je me suis tournée vers les mots pour me soulager des misè–res de notre terre, c'est parce que je me suis dit : Je peux leur faire confiance. Si j'ai besoin d'eux, ils seront toujours là pour me consoler, pour m'ai–der, pour me tenir compagnie, quel que soit le lieu et l'heure de ma solitude."          
Ainsi s'exprime Marie-Françoise Belaïzi, qui vit et écrit à Manosque et qui a rejoint Filigranes récemment. Avec elle, "femme du commun à l'ouvrage", nous cheminons dans les arcanes d'un travail qui se présente comme d'une exploration avide et quasi-systématique des genres. Marie-Françoise Belaïzi évoque les moments de bonheur et de doute qui émaillent toute création et nous invite à nous atteler à notre tour à ce labeur quotidien sans lequel il n'y a pas d'œuvre.

 

Les débuts

Filigranes : Depuis combien de temps écris-tu ?
Marie-Françoise Belaïzi : Depuis bien–tôt 26 ans. Auparavant, je lisais un peu, occasionnellement. Je n'étais pas une passionnée de littérature.
Mon écriture a commencé par une phrase. Une phrase isolée qui s'est impo–sée à moi. J'ai eu la conviction que je devais la transcrire, qu'il m'incombait de la livrer, non seulement parce qu'elle était précieuse, mais aussi parce qu'elle était déjà la propriété de la spiritualité humaine.

Filigranes : "Le premier vers vous est donné par les dieux…"
Marie-Françoise Belaïzi : Oui, cette première phrase est arrivée toute prête au bout de mon stylo. Et si son contenu peut paraître un peu opaque, il est en rapport évident avec le divin. La voici, très exactement : "Dieu est amour, amour est un enfant très innocent qui a signé un pacte avec Satan." Je la trouve assez pessimiste. Mais elle est en accord avec ce que j'ai écrit et vécu par la suite.
A l'époque, j'avais vingt ans. Clermon–toise ayant reçu une éducation totale–ment laïque, je ne connaissais de la reli–gion que ce que l'on apprend dans les livres d'histoire.
Ensuite, pendant une quinzaine d'an–nées, j'ai continué à prendre note de ces fulgurations mentales. Je me suis mise à composer des poèmes, de façon intermittente, mais passionnée. J'étais très influencée par la musique classi–que. A la vérité, j'aurais aimé savoir écrire des partitions, et si je construi–sais des phrases avec des mots c'était faute de pouvoir le faire avec des no–tes.
Sans doute, grâce à cette inclination à rechercher la proximité du sublime, j'ai finalement réussi à tolérer mes nom–breuses faiblesses et incapacités, et cela sans autre entremise que l'attrac–tion d'un idéal spirituel dont je me sen–tais grandie.
Un journal de bord ne m'a jamais tenté. M'intéressait d'évoquer le monde à tra–vers moi, et non pas le monde marqué par mon empreinte.

 

Le sens des mots, une affaire d'écart

Marie-Françoise Belaïzi : J'ai essayé de travailler la question de la subjectivité du sens. Non pas de donner une réponse à cette question, mais de la faire parler.
La communication de l'intimité de l'être n'est pas affaire de langage normalisé. Elle ne peut circuler que dans la subver–sion artistique.
La poésie, la forme
²poésie², (avec tout ce que cela suppose d'entorses à la syn–taxe et au sens couramment admis, de techniques linguistiques s'appuyant sur le matériau des signifiants et non pas sur leur signification) la poésie donc cherche à faire exhaler par les mots des sens autres que ceux qu'ils affichent dans les phrases d'un discours utilitaire.

Filigranes : Tu nous as envoyé des ex–traits de ton "dictionnaire ultra subjec–tif" Est-ce dans cette logique de l'écart que tu l'as confectionné ? Ce diction–naire contient des mots rares ("éristale : (n.m.) : Il fait payer la croyance en son art "), d'autres plus courants ("délibéré–ment (adv.) : Maintenant que moteurs enserrent nos journées. / Emmaillotés nous sommes en camisole de bruit."). Peut-on encore parler de dictionnaire à leur propos ?
Marie-Françoise Belaïzi : Oui, on peut l'appeler ainsi car tous les mots de la langue française y ont leur place, rangés par or–dre alphabétique ! Ce dictionnaire ne sera jamais fini. Il est en perpétuel mou–vement et transformation. Je le construis effectivement sur l'écart entre le mot lui-même et sa définition. Un écart dont j'ai du mal à donner une des–cription, je l'avoue.
Prenons "excaver" ("excaver : ce que je pense n'est rien, sauf si je le vis"). Notre pensée est à l'intérieur de nous, ni visi–ble ni audible, aussi longtemps qu'on se contente de la garder dans notre cer–veau. Elle devient une réalité, une ré–alité vécue, à partir du moment où on l'exprime, que ce soit par une parole ou par un geste. Alors, me direz-vous, pour–quoi ne pas avoir simplement défini le verbe
²exprimer² ? Parce que "exprimer", c'est plutôt ennuyeux et terne. Avec "excaver", la définition de–vient percutante. Elle prend du relief. La curiosité est éveillée. Ce terme sus–cite une réelle envie d'approcher la pré–cision. Il y a là quelque chose de tangi–ble dans la notion de creusement et d'élévation à l'air libre.

Filigranes : "Etarquer" ?
Marie-Françoise Belaïzi : Non, ce n'est pas un mot inventé ! J'en invente très peu. "Etarquer" existe bel et bien : "étarquer : Mar. Raidir, tendre une voile le long de sa draille, de sa vergue, de son mât, etc." (Larousse Bibliorom). C'est un mot technique. Moi j'écris une autre définition : "Etarquer (v t) : Tu refuses d’apprendre pour ne pas entrer dans le rang. Mais c’est justement si tu ne sais pas que tu resteras prisonnier du rang."
Chaque mot possède en lui l'aptitude à énoncer une multitude de signifiés. Ceux-ci foisonnent dans le paradoxe. Pour
²étarquer², le sens se profile sur la constante d'une idée de tension à la fois contraignante et source de liberté : la tension de la contrainte d'apprendre, celle du filet, du piège de l'ignorance.

Filigranes : Quel est le but de ce dictionnaire ?
Marie-Françoise Belaïzi : Chacun des mots de ce dictionnaire présente deux facettes : la facette savante (possibilité de découvrir et d'apprendre un mot nou–veau) ; la facette poétique (mise en relation d'un mot et d'une sensation). La poésie contemporaine sait se passer d'émotions et de sensations, mais pour ce qui est de mon
"dictionnaire ultra subjectif", il s'agit là de subjectivité, et notoirement avouée (ultra subjectivité). Donc, pas d'exactitude, surtout pas de conformité. Au contraire, la reconnaissance d'un "arbitraire du signe".
Nulle gratuité cependant dans cette démarche. Il faut qu'il y ait mise en harmo–nie entre le mot et sa définition, un fil actif, une corde vibrante qui per–mette au lecteur de réfléchir et de rêver.

 

Les textes brefs

Filigranes : Tu as aussi produit "Source", et des haïkus.
Marie-Françoise Belaïzi :
"Source" est le lieu où j'engrange mes réflexions à propos de poésie, et de création artisti–que d'une façon générale.
Depuis l'origine de mes recherches en écriture (il y a 25 ans) s'est établie l'exigence irrépressible d'analyser ce qui irrigue le corps d'une oeuvre artistique. J'ai fini par rédiger, puis collecter, les conceptions souvent contradictoires vers lesquelles me dirigeaient mes tâton–nements. Sans que cela ait la moin–dre parenté avec un manifeste.

Filigranes : N'y a-t-il pas, dans le haïku, un lien avec l'écriture de textes pour ton "dictionnaire", c'est à dire une forme brève, une attention particulière à des normes, un genre connu…
Marie-Françoise Belaïzi : Oui, un lien indéniable. Et j'ai d'ailleurs du mal à résister à la tentation d'insérer des haïkus dans mon
"dictionnaire".
Ecrire des haïkus est une gymnastique quotidienne que je me suis imposée. Ici la gymnastique est intellectuelle. Elle consiste en un exercice de poésie à contraintes.
Mais l'élaboration d'un haïku ne se limite pas à un montage technique. Elle trouve toujours son origine dans l'obser–vation objective du quotidien. Et si elle s'applique à désigner les beautés ca–chées sous l'anodin, à l'opposé, un évé–nement, un incident, une contrariété, peuvent par son intermédiaire être mis à distance. Le haïku est alors... comme un bouquet confectionné avec des fleurs cassées.
Il est aussi, ne l'oublions pas, un poème à part entière. En voici un que je ne trouve pas trop embryonnaire :
²Les roses fanées / Ouvrent des étoiles vertes / Aux fruits du futur.²

Filigranes : Comment gères-tu ton temps d'écriture ? Est-ce long ?
Marie-Françoise Belaïzi : L'essentiel de mes journées, 365 jours par an, est consacré à l'écriture. J'emmagasine des informations, des sensations. Tous ces éléments d'instruction et de sensualité s'entrecroisent, s'échangent, avec des souvenirs aussi. Une potion très complexe se mitonne. Puis des phrases se formulent... Vient le moment de l'écriture. Sur papier d'abord, toujours.
Les brouillons écrits au stylo sont repris au clavier d'ordinateur, et mis au propre à l'écran. C'est l'étape la plus longue, celle d'une très hésitante mise en forme définitive. Même si certains jours je n'écris pas du tout parce que je n'ai pas le temps, d'autres jours, j'y passe cinq ou six heures, voire huit ou dix.

Filigranes : Ce travail, le mènes-tu au nom d'une éthique ? De la nécessité d'un exercice de l'esprit ?
Marie-Françoise Belaïzi : C'est un exercice de l'esprit, certes. Aussi un exercice de style. Un travail d'orfèvrerie, en filigranes précisément.
Le haïku est un bon exemple de ma démarche en écriture. Pour dix-sept syllabes, il m'arrive souvent de m'interroger pendant plusieurs jours, de noircir une page entière de mon carnet avant d'arriver à un résultat. Chaque mot a ici une importance souveraine. Il règne en maître. Et pourtant doit demeurer d'une parfaite humilité. Transitoire élément d'un équilibre instable et indéfiniment perfectible.

 

Les romans

Filigranes : Tu as aussi écrit des romans ! "Les sépultures de Croce Rotta" et "Mise en cercle pour un service à thé". Le premier a été écrit sous pseudo, or tout pseudo signale une énigme qui se dévoile et se refuse tout à la fois…
Marie-Françoise Belaïzi : Claude Philippe, un pseudonyme que j'ai imaginé quand j'avais une vingtaine d'année. Pourquoi ? Parce que je ne voulais pas que le lec–teur sache si j'étais un homme ou une femme (d'où
"Claude"), et aussi parce que je souhaitais rester dans l'anonymat par rapport à mon entourage, ma fa–mille. Précaution bien inutile, puisque mes écrits n'ont pas, ou très fragmentai–rement, été publiés !
Le choix de "Philippe" fait simplement référence à ma grande admiration pour les chevaux.

Filigranes : Comment en vient-on à écrire un roman ? Comment une telle idée germe-t-elle ?
Marie-Françoise Belaïzi : Elle s'impose. C'est le besoin de faire exister un monde imaginaire, des aventures, des actes, des sentiments que la réalité ne nous permet pas de vivre. C'est une compensation à la non satisfaction des désirs, une revanche contre les frustra–tions, les injustices.
Aussi une nécessité d'évasion. En cela, la démarche de l'auteur est comparable à celle du lecteur. Mais elle en diffère par le fait que, bien au-delà d'une envie passagère, elle est l'exigence vitale de se détourner d'une réalité étouffante, de lui substituer une fiction quelque peu contrôlable.
Dès ma petite enfance j'ai eu le goût de raconter, de me raconter ce qui à ma vie quotidienne manquait. Il a cependant fallu attendre l'année 1995 pour que se concrétisent la concep–tion et la rédaction d'un récit. Des études scientifiques m'avaient depuis longtemps détournée de la littérature, poésie mise à part. Et c'est un événe–ment précis, un drame personnel, qui m'a insufflé l'énergie nécessaire à la rédaction d'un véritable roman.
Je ne donnerai ici aucune description des traumatismes physiques et psychiques que j'ai subis entre 1990 et 1995. J'invite seulement ceux qui souhai–tent connaître des détails à lire
"Les Sépultures de Croce Rotta", ou la courte épopée qui a précédé ce roman, et que j'ai intitulée : "Les Roses de Phallacie" .
Je le répète, à l'origine de ces deux livres était une tentative désespérée d'évasion. Je voulais m'enfuir de ma vie. Et puis la souffrance, morale, mentale et physique, est rapidement venue prendre possession des pages. Je l'ai mise en scène, exposée, dénoncée, assassinée... Par la fiction, je me suis rendu une justice que la réalité ne m'accordera jamais. Et la bonne conscience que je me donnais en accom–plissant cet acte de témoignage m'a encouragée à poursuivre mes efforts jusqu'au bout.

Filigranes : Pourquoi s'obstine-t-on ensuite dans l'écriture ?
Marie-Françoise Belaïzi : Si votre existence vous paraît vraiment fade, mesquine et pesante tout à la fois, et cela sans nul espoir d'amélioration, l'écriture est un moyen vraiment écono–mique et sain de réaliser malgré tout quelque chose de ses illusions et de ses rêves. Qui se refuserait à des efforts im–manquablement récompensés par un plaisir ?
Quant à l'obstination, elle était déjà pré–sente dès l'âge de vingt ans. Ecrire, c'est la solution que j'avais adoptée pour préserver ma vie psychique dans cet univers qui m'est foncièrement inhospitalier. Une activité qui, jusqu'à aujourd'hui, m'a été salutaire.

 

Une affaire de lisibilité, de relation au lecteur

Filigranes : Pourquoi la forme romanesque à ce moment précis ?
Marie-Françoise Belaïzi : Le choix de la forme romanesque s'explique par le désir que le texte soit facilement accessible et compréhensible.
La poésie, il faut l'avouer, est parfois hermétique. Elle est un art auquel certains sont sensibles, d'autres indifférents. Un art qui permet d'accéder à plus que des sentiments, à l'indicible. Et cet accès est rendu possible non par la signification des mots, mais par ce que la structure linguistique peut dégager de sensuel, d'irraisonné, d'inconscient, et de vrai cependant, de juste, quand elle est pétrie, modelée à cet effet, et que l'esprit se place dans un état de disponibilité à l'informulé tabou, dépouillé de toute préconception.

 

Ecrire s'apprend-il ?

Filigranes : Faut-il chercher à ce point-là une forme idéale, au risque de ne jamais aboutir ou n'est-il pas plus urgent, parfois, de témoigner quelles que soient les imperfections formelles ?
Marie-Françoise Belaïzi : Comme je l'ai déjà dit, j'ai voulu témoigner, et dans cette perspective, je ne devrais pas trop tarder à faire connaître "Les Sépultures de Croce Rotta". Mais je suis persuadée que si le style est gauche, désagréable, le témoignage reste lettre morte, est inapte à être reçu. Même si je ne peux plus améliorer la version actuelle de ce roman, il n'en demeure pas moins que je suis effrayée par tous les défauts dont il est affublé : des phrases mal construites, des bavardages inutiles, des lourdeurs, des longueurs. C'est un écrivain autodidacte en apprentissage qui l'a écrit. Ce récit, je l'ai pourtant toujours souhaité limpide et sans détours, captivant aussi, à mille lieues de tout ennui…

Filigranes : "Ecrivain autodidacte"…
Marie-Françoise Belaïzi
: Cette expression est peut-être redondante. Tous les écrivains sont autodidactes ! C'est en pratiquant que l'on apprend, qu'on l'on s'améliore, que l'on finit par produire ses textes à sa main, à son esprit. Que l'on fabrique ses outils, à la manière des artisans d'antan.

Filigranes : Quels outils ?
Marie-Françoise Belaïzi
: En écriture, on a du mal à concevoir ce que peuvent être des outils ! Ce sont les techniques d'assemblage des mots et des phrases que le labeur forge peu à peu à notre mesure. Ce que je dis est vrai pour la poésie comme pour le roman, bien que les difficultés à résoudre ne soient pas identiques dans les deux
"genres".
Ce travail va bien au-delà de la construction de phrases : c'est un interminable acharnement à déconstruire pour refabriquer, puis dé-monter et relever des ruines, jusqu'à l'obtention d'un compromis pas trop insatisfaisant entre ce que l'on voulait dire au départ et ce que les mots nous amènent à dire.
Pour la poésie, ce sera par exemple la façon de peser et mesurer les vers. Ce mot, ou celui-ci ? Ira-t-il dans tel vers ou tel autre ?
En matière de roman, quand on commence, on croit savoir exactement quelle image ou quelle action on veut décrire. Mais au milieu de la page, les choses bougent. Les mots se mettent à raconter tous seuls, à parler pour eux mêmes. Ils tirent ainsi parfois dans des directions inattendues. Si c'est pour conduire en un lieu où il n'est pas à propos de se rendre dans le contexte du moment, je les arrête ! Et si je ne m'en aperçois pas tout de suite, je les supprime quand je me relis.

Filigranes : Ecrire transforme le rapport aux auteurs ?
Marie-Françoise Belaïzi : J'ai toujours beaucoup admiré les écrivains. Il m'a toujours semblé qu'ils connaissaient le monde mieux que les autres habitants de la terre.
Je croyais que ces êtres hors du commun, après avoir voyagé, eu des expériences heureuses ou malheureuses, des aventures, des succès des échecs, ne s'installaient devant leur page blanche qu'après avoir longuement analysé ce qu'ils avaient vécu. Sans doute le mécanisme fonctionne-t-il de cette façon, mais il est aussi très efficace dans le sens inverse. Ainsi, dans sa démarche de romancier, l'auteur vit (ou désire vivre) une situation, des événements. Il essaye d'en témoigner et d'inscrire sur papier ses rêves, ses visions, ses fantasmes, sans chercher à comprendre. Les souvenirs et les images inventées s'assemblent, le récit prend corps, les personnages aussi ! Ils bougent, ils parlent, occupent de plus en plus d'espace et de durée. Tout un monde s'anime avec ses rouages, ses lois, ses limites. Se schématise ainsi une imitation de la réalité. Et c'est ce squelette mis à nu qui apporte d'insoupçonnables explications aux dysfonctionnements naturels et sociaux dont nous souffrons tous.
La poésie ? Peut-être est-ce plutôt dans ses efforts à nommer l'informe et l'indé–fini qu'elle apporte des éclaircissements sur notre univers. Comme toute recher–che artistique, elle est appel à création d'un objet ou d'un être. Objet ou être existant, mais non encore révélé à nos sens. Et elle s'avère en cela beaucoup plus enivrante que la patiente élabora–tion d'un roman.

 

Le théâtre

Filigranes : Ton exploration ne s'est pas arrêtée là ! Tu t'es aussi essayée au théâ–tre ?
Marie-Françoise Belaïzi : L'idée m'est ve–nue sur mon lieu de travail, la Poste. Un bureau de poste, c'est un extraordi–naire théâtre : beaucoup de personnes, de personnages tout à fait extrava–gants, et pourtant des gens du quoti–dien. Très souvent, des situations et des expressions théâtrales. Il y a aussi le fait que, comme dans un théâtre, en–trée du public et entrée des employés sont complètement séparées. Quant aux coulisses de la Poste ! Je vous défie d'imaginer par quels dédales passe la let–tre que vous avez postée dans une boîte au coin de la rue.
Cette atmosphère très particulière m'a inspiré des dialogues entre employés et clients, dont a résulté un essai qui s'apparente très nettement à une pièce de théâtre (inachevée malheureusement). Celle-ci a pour propriété première d'être bondée de jeux de mots. Le sérieux est la dernière de ses visées, et certaines de ses scènes ont un caractère vraiment hallucinant.

 

Publier pour sortir de la solitude ?

Filigranes : Tu sembles ouvrir beaucoup de pistes, sans toujours aller jusqu'au bout ou en les laissant vivre leur vie, sans plus…
Marie-Françoise Belaïzi : Jusqu'à récem–ment, il me semblait que le monde de la publication, des écrivains reconnus, m'était totalement inaccessible ! Ce sen–timent a commencé à évoluer quand j'ai fait la connaissance de Xavier Lainé, et que j'ai pu collaborer à la revue "Montée des poètes ", puis au "Café des poètes". J'ai pu échanger des points de vue à propos de l'écriture, et mes écrits ont pu être lus par d'autres. Ensuite, je me suis décidée un beau jour à participer à Filigranes et à ses sé–minaires. Une nouvelle ouverture s'est concrétisée. J'ai eu la possibilité de ren–contrer des personnes ayant des activi–tés et des centres d'intérêt différents des miens, écrivant dans d'autres regis–tres et disposant d'une autre expérience d'écriture. Mes textes ont pu côtoyer ceux d'écrivains reconnus et publiés. J'y ai acquis un soupçon d'assurance.

Filigranes : Ecrire "pour son tiroir", ce n'est donc pas suffisant !Marie-Françoise Belaïzi : Non, il y a un besoin d'échange. La recherche en commun, les réflexions critiques, sont des incitations irrempla–çables à progresser. Le travail en revue est es–sentiel. C'est un tremplin qui donne un élan vers les lecteurs, et développe l'audace d'aller présenter son travail ail–leurs. Je ne me ren–ds mieux compte à quel point l'écoute d'un public est stimulante ! J'en ai une conscience aiguë depuis que je présente mes improvisations pendant les séminai–res de Filigranes.
Finalement, je constate que ce travail sur la forme que je mène avec persévérance depuis de longues an–nées est plus, mieux surtout, qu'une énorme accumulation de temps et de fa–tigue. Après tout, ce que j'écris vaut peut être la peine de se matérialiser dans une bibliothèque…

Cet entretien a été réalisé
par Odette et Michel Neumayer
chez Christiane Rambaud.

 * * *

Restitution

Sable dessus
Et boue dessous
Mon nid se lie à une graine
Jetée sans terre.

Fleur de misère
Rosier d'égout
Cette heure sonne la couleur
Du temps perdu.

.............................

N° 595  Version 08 95.

Restituer dysfonctionnement d’ouverture
Perte des dépôts effectués.
Reçu soumis à présentation des documents.

Rétention d’établissement de compte
Présenter l’habilitation du type.
Opération normale de soumission.

Exception: identité conservée, conditions de vente propres.

Utiliser remise du nom.

...............................

Des bris de lave au bout des ailes
Pèsent
Les souvenirs
Et le présent pâli de pluies
Solides lavandières
Lape à ses lézardes
Pelures d'or bleu
Et puis la goutte
Sème en terre.

Marie-Françoise Bélaïzi
Manosque,

26/01/ 2003

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