Entretien avec
Marie-Françoise Belaïzi,
"Ce qui
traverse nos explora–tions littéraires c'est bien sûr l'attention aux
mots, mots qui sont le matériau de base de l'écrivain. Mais un matériau
pour lequel j'éprouve une affection pro–fonde, un grand respect, et un
attache–ment indéfectible. Si je me suis tournée vers les mots pour me
soulager des misè–res de notre terre, c'est parce que je me suis dit :
Je peux leur faire confiance. Si j'ai besoin d'eux, ils seront toujours
là pour me consoler, pour m'ai–der, pour me tenir compagnie, quel que
soit le lieu et l'heure de ma solitude."
Ainsi s'exprime Marie-Françoise Belaïzi,
qui vit et écrit à Manosque et qui a rejoint Filigranes
récemment. Avec elle, "femme du commun à l'ouvrage", nous cheminons dans
les arcanes d'un travail qui se présente comme d'une exploration avide
et quasi-systématique des genres. Marie-Françoise Belaïzi évoque les
moments de bonheur et de doute qui émaillent toute création et nous
invite à nous atteler à notre tour à ce labeur quotidien sans lequel il
n'y a pas d'œuvre.
Les débuts
Filigranes : Depuis combien
de temps écris-tu ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Depuis bien–tôt 26 ans. Auparavant, je lisais un peu, occasionnellement.
Je n'étais pas une passionnée de littérature.
Mon écriture a commencé par une phrase. Une phrase isolée qui s'est
impo–sée à moi. J'ai eu la conviction que je devais la transcrire, qu'il
m'incombait de la livrer, non seulement parce qu'elle était précieuse,
mais aussi parce qu'elle était déjà la propriété de la spiritualité
humaine.
Filigranes : "Le premier
vers vous est donné par les dieux…"
Marie-Françoise Belaïzi :
Oui, cette première phrase est arrivée toute prête au bout de mon stylo.
Et si son contenu peut paraître un peu opaque, il est en rapport évident
avec le divin. La voici, très exactement : "Dieu est amour, amour est un
enfant très innocent qui a signé un pacte avec Satan." Je la trouve assez
pessimiste. Mais elle est en accord avec ce que j'ai écrit et vécu par la
suite.
A l'époque, j'avais vingt ans. Clermon–toise ayant reçu une éducation
totale–ment laïque, je ne connaissais de la reli–gion que ce que l'on
apprend dans les livres d'histoire.
Ensuite, pendant une quinzaine d'an–nées, j'ai continué à prendre note de
ces fulgurations mentales. Je me suis mise à composer des poèmes, de façon
intermittente, mais passionnée. J'étais très influencée par la musique
classi–que. A la vérité, j'aurais aimé savoir écrire des partitions, et si
je construi–sais des phrases avec des mots c'était faute de pouvoir le
faire avec des no–tes.
Sans doute, grâce à cette inclination à rechercher la proximité du
sublime, j'ai finalement réussi à tolérer mes nom–breuses faiblesses et
incapacités, et cela sans autre entremise que l'attrac–tion d'un idéal
spirituel dont je me sen–tais grandie.
Un journal de bord ne m'a jamais tenté. M'intéressait d'évoquer le monde à
tra–vers moi, et non pas le monde marqué par mon empreinte.
Le sens des mots, une affaire
d'écart
Marie-Françoise Belaïzi :
J'ai essayé de travailler la question de la subjectivité du sens. Non pas
de donner une réponse à cette question, mais de la faire parler.
La communication de l'intimité de l'être n'est pas affaire de langage
normalisé. Elle ne peut circuler que dans la subver–sion artistique.
La poésie, la forme ²poésie²,
(avec tout ce que cela suppose d'entorses à la syn–taxe et au sens
couramment admis, de techniques linguistiques s'appuyant sur le matériau
des signifiants et non pas sur leur signification) la poésie donc cherche
à faire exhaler par les mots des sens autres que ceux qu'ils affichent
dans les phrases d'un discours utilitaire.
Filigranes : Tu nous as
envoyé des ex–traits de ton "dictionnaire ultra subjec–tif" Est-ce dans
cette logique de l'écart que tu l'as confectionné ? Ce diction–naire
contient des mots rares ("éristale : (n.m.) : Il fait payer la croyance en
son art "), d'autres plus courants ("délibéré–ment (adv.) : Maintenant que
moteurs enserrent nos journées. / Emmaillotés nous sommes en camisole de
bruit."). Peut-on encore parler de dictionnaire à leur propos ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Oui, on peut l'appeler ainsi car tous les mots de la langue française y
ont leur place, rangés par or–dre alphabétique ! Ce dictionnaire ne sera
jamais fini. Il est en perpétuel mou–vement et transformation. Je le
construis effectivement sur l'écart entre le mot lui-même et sa
définition. Un écart dont j'ai du mal à donner une des–cription, je
l'avoue.
Prenons "excaver" ("excaver : ce que je pense n'est rien, sauf si je le
vis"). Notre pensée est à l'intérieur de nous, ni visi–ble ni audible,
aussi longtemps qu'on se contente de la garder dans notre cer–veau. Elle
devient une réalité, une ré–alité vécue, à partir du moment où on
l'exprime, que ce soit par une parole ou par un geste. Alors, me
direz-vous, pour–quoi ne pas avoir simplement défini le verbe
²exprimer²
? Parce que "exprimer", c'est plutôt ennuyeux et terne. Avec "excaver", la
définition de–vient percutante. Elle prend du relief. La curiosité est
éveillée. Ce terme sus–cite une réelle envie d'approcher la pré–cision. Il
y a là quelque chose de tangi–ble dans la notion de creusement et
d'élévation à l'air libre.
Filigranes : "Etarquer" ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Non, ce n'est pas un mot inventé ! J'en invente très peu. "Etarquer"
existe bel et bien : "étarquer : Mar. Raidir, tendre une voile le long de
sa draille, de sa vergue, de son mât, etc." (Larousse Bibliorom). C'est un
mot technique. Moi j'écris une autre définition : "Etarquer (v t) : Tu
refuses d’apprendre pour ne pas entrer dans le rang. Mais c’est justement
si tu ne sais pas que tu resteras prisonnier du rang."
Chaque mot possède en lui l'aptitude à énoncer une multitude de signifiés.
Ceux-ci foisonnent dans le paradoxe. Pour
²étarquer²,
le sens se profile sur la constante d'une idée de tension à la fois
contraignante et source de liberté : la tension de la contrainte
d'apprendre, celle du filet, du piège de l'ignorance.
Filigranes : Quel est le
but de ce dictionnaire ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Chacun des mots de ce dictionnaire présente deux facettes : la facette
savante (possibilité de découvrir et d'apprendre un mot nou–veau) ; la
facette poétique (mise en relation d'un mot et d'une sensation). La poésie
contemporaine sait se passer d'émotions et de sensations, mais pour ce qui
est de mon "dictionnaire
ultra subjectif", il s'agit là de subjectivité, et notoirement avouée
(ultra subjectivité). Donc, pas d'exactitude, surtout pas de conformité.
Au contraire, la reconnaissance d'un "arbitraire du signe".
Nulle gratuité cependant dans cette démarche. Il faut qu'il y ait mise en
harmo–nie entre le mot et sa définition, un fil actif, une corde vibrante
qui per–mette au lecteur de réfléchir et de rêver.
Les textes brefs
Filigranes : Tu as aussi
produit "Source", et des haïkus.
Marie-Françoise Belaïzi :
"Source"
est le lieu où j'engrange mes
réflexions à propos de poésie, et de création artisti–que d'une façon
générale.
Depuis l'origine de mes recherches en écriture (il y a 25 ans) s'est
établie l'exigence irrépressible d'analyser ce qui irrigue le corps d'une
oeuvre artistique. J'ai fini par rédiger, puis collecter, les conceptions
souvent contradictoires vers lesquelles me dirigeaient mes tâton–nements.
Sans que cela ait la moin–dre parenté avec un manifeste.
Filigranes : N'y a-t-il
pas, dans le haïku, un lien avec l'écriture de textes pour ton
"dictionnaire", c'est à dire une forme brève, une attention particulière à
des normes, un genre connu…
Marie-Françoise Belaïzi :
Oui, un lien indéniable. Et j'ai d'ailleurs du mal à résister à la
tentation d'insérer des haïkus dans mon
"dictionnaire".
Ecrire des haïkus est une gymnastique quotidienne que je me suis imposée.
Ici la gymnastique est intellectuelle. Elle consiste en un exercice de
poésie à contraintes.
Mais l'élaboration d'un haïku ne se limite pas à un montage technique.
Elle trouve toujours son origine dans l'obser–vation objective du
quotidien. Et si elle s'applique à désigner les beautés ca–chées sous
l'anodin, à l'opposé, un évé–nement, un incident, une contrariété, peuvent
par son intermédiaire être mis à distance. Le haïku est alors... comme un
bouquet confectionné avec des fleurs cassées.
Il est aussi, ne l'oublions pas, un poème à part entière. En voici un que
je ne trouve pas trop embryonnaire :
²Les
roses fanées / Ouvrent des étoiles vertes / Aux fruits du futur.²
Filigranes : Comment
gères-tu ton temps d'écriture ? Est-ce long ?
Marie-Françoise Belaïzi :
L'essentiel de mes journées, 365 jours par an, est consacré à l'écriture.
J'emmagasine des informations, des sensations. Tous ces éléments
d'instruction et de sensualité s'entrecroisent, s'échangent, avec des
souvenirs aussi. Une potion très complexe se mitonne. Puis des phrases se
formulent... Vient le moment de l'écriture. Sur papier d'abord, toujours.
Les brouillons écrits au stylo sont repris au clavier d'ordinateur, et mis
au propre à l'écran. C'est l'étape la plus longue, celle d'une très
hésitante mise en forme définitive. Même si certains jours je n'écris pas
du tout parce que je n'ai pas le temps, d'autres jours, j'y passe cinq ou
six heures, voire huit ou dix.
Filigranes : Ce travail, le
mènes-tu au nom d'une éthique ? De la nécessité d'un exercice de l'esprit
?
Marie-Françoise Belaïzi :
C'est un exercice de l'esprit, certes. Aussi un exercice de style. Un
travail d'orfèvrerie, en filigranes précisément.
Le haïku est un bon exemple de ma démarche en écriture. Pour dix-sept
syllabes, il m'arrive souvent de m'interroger pendant plusieurs jours, de
noircir une page entière de mon carnet avant d'arriver à un résultat.
Chaque mot a ici une importance souveraine. Il règne en maître. Et
pourtant doit demeurer d'une parfaite humilité. Transitoire élément d'un
équilibre instable et indéfiniment perfectible.
Les romans
Filigranes : Tu as aussi
écrit des romans ! "Les sépultures de Croce Rotta" et
"Mise
en cercle pour un service à thé". Le
premier a été écrit sous pseudo, or tout pseudo signale une énigme qui se
dévoile et se refuse tout à la fois…
Marie-Françoise Belaïzi :
Claude Philippe, un pseudonyme que j'ai imaginé quand j'avais une
vingtaine d'année. Pourquoi ? Parce que je ne voulais pas que le lec–teur
sache si j'étais un homme ou une femme (d'où
"Claude"),
et aussi parce que je souhaitais rester dans l'anonymat par rapport à mon
entourage, ma fa–mille. Précaution bien inutile, puisque mes écrits n'ont
pas, ou très fragmentai–rement, été publiés !
Le choix de "Philippe" fait simplement référence à ma grande admiration
pour les chevaux.
Filigranes : Comment en
vient-on à écrire un roman ? Comment une telle idée germe-t-elle ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Elle s'impose. C'est le besoin de faire exister un monde imaginaire, des
aventures, des actes, des sentiments que la réalité ne nous permet pas de
vivre. C'est une compensation à la non satisfaction des désirs, une
revanche contre les frustra–tions, les injustices.
Aussi une nécessité d'évasion. En cela, la démarche de l'auteur est
comparable à celle du lecteur. Mais elle en diffère par le fait que, bien
au-delà d'une envie passagère, elle est l'exigence vitale de se détourner
d'une réalité étouffante, de lui substituer une fiction quelque peu
contrôlable.
Dès ma petite enfance j'ai eu le goût de raconter, de me raconter ce qui à
ma vie quotidienne manquait. Il a cependant fallu attendre l'année 1995
pour que se concrétisent la concep–tion et la rédaction d'un récit. Des
études scientifiques m'avaient depuis longtemps détournée de la
littérature, poésie mise à part. Et c'est un événe–ment précis, un drame
personnel, qui m'a insufflé l'énergie nécessaire à la rédaction d'un
véritable roman.
Je ne donnerai ici aucune description des traumatismes physiques et
psychiques que j'ai subis entre 1990 et 1995. J'invite seulement ceux qui
souhai–tent connaître des détails à lire
"Les
Sépultures de Croce Rotta",
ou la courte épopée qui a précédé ce
roman, et que j'ai intitulée : "Les
Roses de Phallacie" .
Je le répète, à l'origine de ces deux livres était une tentative
désespérée d'évasion. Je voulais m'enfuir de ma vie. Et puis la
souffrance, morale, mentale et physique, est rapidement venue prendre
possession des pages. Je l'ai mise en scène, exposée, dénoncée,
assassinée... Par la fiction, je me suis rendu une justice que la réalité
ne m'accordera jamais. Et la bonne conscience que je me donnais en
accom–plissant cet acte de témoignage m'a encouragée à poursuivre mes
efforts jusqu'au bout.
Filigranes : Pourquoi
s'obstine-t-on ensuite dans l'écriture ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Si votre existence vous paraît vraiment fade, mesquine et pesante tout à
la fois, et cela sans nul espoir d'amélioration, l'écriture est un moyen
vraiment écono–mique et sain de réaliser malgré tout quelque chose de ses
illusions et de ses rêves. Qui se refuserait à des efforts
im–manquablement récompensés par un plaisir ?
Quant à l'obstination, elle était déjà pré–sente dès l'âge de vingt ans.
Ecrire, c'est la solution que j'avais adoptée pour préserver ma vie
psychique dans cet univers qui m'est foncièrement inhospitalier. Une
activité qui, jusqu'à aujourd'hui, m'a été salutaire.
Une affaire de lisibilité, de
relation au lecteur
Filigranes : Pourquoi la
forme romanesque à ce moment précis ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Le choix de la forme romanesque s'explique par le désir que le texte soit
facilement accessible et compréhensible.
La poésie, il faut l'avouer, est parfois hermétique. Elle est un art
auquel certains sont sensibles, d'autres indifférents. Un art qui permet
d'accéder à plus que des sentiments, à l'indicible. Et cet accès est rendu
possible non par la signification des mots, mais par ce que la structure
linguistique peut dégager de sensuel, d'irraisonné, d'inconscient, et de
vrai cependant, de juste, quand elle est pétrie, modelée à cet effet, et
que l'esprit se place dans un état de disponibilité à l'informulé tabou,
dépouillé de toute préconception.
Ecrire s'apprend-il ?
Filigranes : Faut-il
chercher à ce point-là une forme idéale, au risque de ne jamais aboutir ou
n'est-il pas plus urgent, parfois, de témoigner quelles que soient les
imperfections formelles ?
Marie-Françoise Belaïzi :
Comme je l'ai déjà dit, j'ai voulu témoigner, et dans cette perspective,
je ne devrais pas trop tarder à faire connaître "Les Sépultures de
Croce Rotta". Mais je suis persuadée que si le style est gauche,
désagréable, le témoignage reste lettre morte, est inapte à être reçu.
Même si je ne peux plus améliorer la version actuelle de ce roman, il n'en
demeure pas moins que je suis effrayée par tous les défauts dont il est
affublé : des phrases mal construites, des bavardages inutiles, des
lourdeurs, des longueurs. C'est un écrivain autodidacte en apprentissage
qui l'a écrit. Ce récit, je l'ai pourtant toujours souhaité limpide et
sans détours, captivant aussi, à mille lieues de tout ennui…
Filigranes : "Ecrivain
autodidacte"…
Marie-Françoise Belaïzi : Cette expression est peut-être
redondante. Tous les écrivains sont autodidactes ! C'est en pratiquant que
l'on apprend, qu'on l'on s'améliore, que l'on finit par produire ses
textes à sa main, à son esprit. Que l'on fabrique ses outils, à la manière
des artisans d'antan.
Filigranes : Quels outils ?
Marie-Françoise Belaïzi : En écriture, on a du mal à concevoir ce
que peuvent être des outils ! Ce sont les techniques d'assemblage des mots
et des phrases que le labeur forge peu à peu à notre mesure. Ce que je dis
est vrai pour la poésie comme pour le roman, bien que les difficultés à
résoudre ne soient pas identiques dans les deux
"genres".
Ce travail va bien au-delà de la construction de phrases : c'est un
interminable acharnement à déconstruire pour refabriquer, puis dé-monter
et relever des ruines, jusqu'à l'obtention d'un compromis pas trop
insatisfaisant entre ce que l'on voulait dire au départ et ce que les mots
nous amènent à dire.
Pour la poésie, ce sera par exemple la façon de peser et mesurer les vers.
Ce mot, ou celui-ci ? Ira-t-il dans tel vers ou tel autre ?
En matière de roman, quand on commence, on croit savoir exactement quelle
image ou quelle action on veut décrire. Mais au milieu de la page, les
choses bougent. Les mots se mettent à raconter tous seuls, à parler pour
eux mêmes. Ils tirent ainsi parfois dans des directions inattendues. Si
c'est pour conduire en un lieu où il n'est pas à propos de se rendre dans
le contexte du moment, je les arrête ! Et si je ne m'en aperçois pas tout
de suite, je les supprime quand je me relis.
Filigranes : Ecrire
transforme le rapport aux auteurs ?
Marie-Françoise Belaïzi :
J'ai toujours beaucoup admiré les écrivains. Il m'a toujours semblé qu'ils
connaissaient le monde mieux que les autres habitants de la terre.
Je croyais que ces êtres hors du commun, après avoir voyagé, eu des
expériences heureuses ou malheureuses, des aventures, des succès des
échecs, ne s'installaient devant leur page blanche qu'après avoir
longuement analysé ce qu'ils avaient vécu. Sans doute le mécanisme
fonctionne-t-il de cette façon, mais il est aussi très efficace dans le
sens inverse. Ainsi, dans sa démarche de romancier, l'auteur vit (ou
désire vivre) une situation, des événements. Il essaye d'en témoigner et
d'inscrire sur papier ses rêves, ses visions, ses fantasmes, sans chercher
à comprendre. Les souvenirs et les images inventées s'assemblent, le récit
prend corps, les personnages aussi ! Ils bougent, ils parlent, occupent de
plus en plus d'espace et de durée. Tout un monde s'anime avec ses rouages,
ses lois, ses limites. Se schématise ainsi une imitation de la réalité. Et
c'est ce squelette mis à nu qui apporte d'insoupçonnables explications aux
dysfonctionnements naturels et sociaux dont nous souffrons tous.
La poésie ? Peut-être est-ce plutôt dans ses efforts à nommer l'informe et
l'indé–fini qu'elle apporte des éclaircissements sur notre univers. Comme
toute recher–che artistique, elle est appel à création d'un objet ou d'un
être. Objet ou être existant, mais non encore révélé à nos sens. Et elle
s'avère en cela beaucoup plus enivrante que la patiente élabora–tion d'un
roman.
Le théâtre
Filigranes : Ton
exploration ne s'est pas arrêtée là ! Tu t'es aussi essayée au théâ–tre ?
Marie-Françoise Belaïzi :
L'idée m'est ve–nue sur mon lieu de travail, la Poste. Un bureau de poste,
c'est un extraordi–naire théâtre : beaucoup de personnes, de personnages
tout à fait extrava–gants, et pourtant des gens du quoti–dien. Très
souvent, des situations et des expressions théâtrales. Il y a aussi le
fait que, comme dans un théâtre, en–trée du public et entrée des employés
sont complètement séparées. Quant aux coulisses de la Poste ! Je vous
défie d'imaginer par quels dédales passe la let–tre que vous avez postée
dans une boîte au coin de la rue.
Cette atmosphère très particulière m'a inspiré des dialogues entre
employés et clients, dont a résulté un essai qui s'apparente très
nettement à une pièce de théâtre (inachevée malheureusement). Celle-ci a
pour propriété première d'être bondée de jeux de mots. Le sérieux est la
dernière de ses visées, et certaines de ses scènes ont un caractère
vraiment hallucinant.
Publier pour sortir de la solitude
?
Filigranes : Tu sembles
ouvrir beaucoup de pistes, sans toujours aller jusqu'au bout ou en les
laissant vivre leur vie, sans plus…
Marie-Françoise Belaïzi :
Jusqu'à récem–ment, il me semblait que le monde de la publication, des
écrivains reconnus, m'était totalement inaccessible ! Ce sen–timent a
commencé à évoluer quand j'ai fait la connaissance de Xavier Lainé, et que
j'ai pu collaborer à la revue "Montée des poètes ", puis au "Café des
poètes". J'ai pu échanger des points de vue à propos de l'écriture, et mes
écrits ont pu être lus par d'autres. Ensuite, je me suis décidée un beau
jour à participer à Filigranes et à ses sé–minaires. Une nouvelle
ouverture s'est concrétisée. J'ai eu la possibilité de ren–contrer des
personnes ayant des activi–tés et des centres d'intérêt différents des
miens, écrivant dans d'autres regis–tres et disposant d'une autre
expérience d'écriture. Mes textes ont pu côtoyer ceux d'écrivains reconnus
et publiés. J'y ai acquis un soupçon d'assurance.
Filigranes : Ecrire "pour
son tiroir", ce n'est donc pas suffisant !Marie-Françoise
Belaïzi : Non, il y a un besoin d'échange. La recherche en commun,
les réflexions critiques, sont des incitations irrempla–çables à
progresser. Le travail en revue est es–sentiel. C'est un tremplin qui
donne un élan vers les lecteurs, et développe l'audace d'aller présenter
son travail ail–leurs. Je ne me ren–ds mieux compte à quel point l'écoute
d'un public est stimulante ! J'en ai une conscience aiguë depuis que je
présente mes improvisations pendant les séminai–res de Filigranes.
Finalement, je constate que ce travail sur la forme que je mène avec
persévérance depuis de longues an–nées est plus, mieux surtout, qu'une
énorme accumulation de temps et de fa–tigue. Après tout, ce que j'écris
vaut peut être la peine de se matérialiser dans une bibliothèque…
Cet
entretien a été réalisé
par Odette et Michel Neumayer
chez Christiane Rambaud.
* * *
Restitution
Sable dessus
Et boue dessous
Mon nid se lie à une graine
Jetée sans terre.
Fleur de misère
Rosier d'égout
Cette heure sonne la couleur
Du temps perdu.
.............................
N° 595 Version 08 95.
Restituer dysfonctionnement
d’ouverture
Perte des dépôts effectués.
Reçu soumis à présentation des documents.
Rétention d’établissement de
compte
Présenter l’habilitation du type.
Opération normale de soumission.
Exception: identité
conservée, conditions de vente propres.
Utiliser remise du nom.
...............................
Des bris de lave au bout des
ailes
Pèsent
Les souvenirs
Et le présent pâli de pluies
Solides lavandières
Lape à ses lézardes
Pelures d'or bleu
Et puis la goutte
Sème en terre.
Marie-Françoise Bélaïzi
Manosque,
26/01/ 2003
Lire d'autres textes de
Marie-Françoise Bélaïzi