Ecrivain Public et Biographe
Un entretien avec Marie-Christine INGIGLIARDI
Écrivain
public : "Nom masculin bien que souvent féminin… Sorte de porte-plume
doté d’oreilles bienveillantes et attentives, utile lorsqu’on trouve les
mots pour le dire mais pas ceux pour l’écrire. Domaines d’intervention :
de la lettre de motivation au roman, du recours administratif au poème,
du rapport de stage à la lettre d’amour, du mémoire aux Mémoires…"
Telle
est la définition que Marie-Christine INGIGLIARDI, écrivain public et
biographe à Sisteron, donne de son métier. Un métier qu'elle évoque ici
pour les lecteurs de Filigranes…
Filigranes : En
quoi consiste votre travail d’écrivain public et biographe ? Quelles sont
vos différentes activités et qui sont vos clients ?
Marie-Christine INGIGLIARDI : Tout d’abord, si je dis "Écrivain
public"quand on me demande ce que je fais dans la vie, il faut bien
reconnaître que ce n’est pas ce qui me fait vivre. Pour le bulletin de
paye, j’ai d’autres activités qui tournent toutes autour de l’écriture
(alphabétisation, soutien scolaire, communication…) mais ont en commun
d’être décemment rémunératrices.
Ce n’est pas le cas d’une grande partie de mon activité "écrivain public".
Normal : vous vous voyez demander des sous à un quinquagénaire à qui on a
sucré le RMI ? À une femme qui essaie de se faire payer la pension
alimentaire de ses gamins ? Un saisonnier qui n’a pas reçu sa paye ? Il
m’arrive de dire à un client qu’il me paiera quand le problème sera
résolu, sachant qu’il ne le fera peut-être pas…
Bref, cet aspect-là de l’écrivain public c’est, en quelque sorte, un
service social. Un service que tout État devrait offrir aux citoyens qui
en ont besoin, ne serait-ce que pour reconnaître ses lacunes en matière
d’éducation nationale. Pourquoi, en effet, dans un pays dit développé,
tant de gens se sentent-ils désarmés devant une page blanche ? Pourquoi
ceux qui maîtrisent correctement leur langue à l’écrit, sont-ils
déboussolés dès qu’il s’agit de s’adresser à l’administration, à la
justice, à un employeur potentiel ?
Quelle(s) que soi(en)t la/les réponse(s) la question se pose. Or, dans mon
département, le seul organisme social qui ait jugé utile de prendre en
charge ce service est la mutuelle qui m’emploie pour sa communication
(elle offre gratuitement à ses adhérents un service "écrivain public"que
j’assume et pour lequel elle me rémunère).
Les mairies, les centres sociaux, les M.J.C. préfèrent, quand ils le
mettent en place, confier ce service à des emplois "aidés"qui ne leur
coûtent rien. La compétence et la bonne volonté de ces salariés pas chers
ne sont pas en cause. Mais ça en dit long sur l’investissement des
communes…
Aux origines de mon activité
Filigranes :
Comment en êtes-vous venue à choisir ce métier ?
Mrie-Christine Ingigliardi :
Mon premier
boulot consistait à "rewriter"des retranscriptions de traductions
simultanées pour les actes d’un congrès international de coopératives de
toutes sortes (ouvrières, agricoles, strictement féminines…) en 71. Puis
j’ai été embauchée par une banque pour créer un mensuel de vulgarisation
juridique. Ma maîtrise de droit me servait à décoder les textes de loi,
mon goût de l’écriture à les traduire en français. Je répondais aussi au
courrier des lecteurs (le vrai, celui auquel on répond, pas celui qu’on
publie !), des problèmes de voisinage, de divorce, d’adultère, de gamins
qui font des bêtises… des tranches de vie. J’ai eu envie de continuer.
Mais pas dans ce contexte et puis c’était pas mûr.
Au long de mes diverses expériences (notamment de création d’une
entreprise de micro-édition libérale), je remarquai peu à peu une facilité
et un plaisir à prêter ma plume aux autres. Je pense qu’il est possible de
vivre de ce métier mais pas comme j’aime le faire : je n’ai pas envie,
pour l’exercer, d’être soumise à des impératifs de rentabilité.
C’est pour cela que j’ai d’autres activités. Mon travail d’écrivain
public, il m’arrive de l’échanger : une lettre contre des fromages de
chèvre, un curriculum vitae contre un pain fait maison, le dossier de
promotion d’un coiffeur contre une coupe de cheveux… ! Ou de le faire
gratos.
Mais, qu’il me rapporte ou non, je crois que, pour ce boulot-là, je ne
prendrai jamais ma retraite !
Filigranes :
Avez-vous déjà refusé d’effectuer certains travaux ? Pour quelles
raisons ?
Marie-Christine
Ingigliardi : Oui. Essentiellement pour des raisons politiques. On m’a
ainsi un jour demandé, lors d’une campagne électorale, de corriger, mettre
en forme et en pages une profession de foi. Je l’avais déjà fait pour des
candidats qui n’étaient pas les miens (instructif exercice de tolérance).
Mais faut pas pousser : un candidat fasciste, pour tout l’or du monde, je
l’aiderais pas !
Filigranes :
Comment gérez-vous le fait de devoir être convaincante pour quelqu’un dont
vous ne partagez pas les idées ?
Marie-Christine Ingigliardi :
J’avoue que pour
aider quelqu’un à être convaincant, et particulièrement dans le cadre
d’une campagne électorale, il me faut tout de même être un peu en accord
avec ses idées. J’étais, par exemple, bien contente qu’un candidat RPR me
demande de taper sa profession de foi sans y changer une virgule : le
contenu me faisait bondir mais au moins, je n’y étais pour rien ! Je me
suis plus investie par exemple avec des communistes dont les idées ne me
paraissaient pas idiotes mais qui s’y prenaient comme des manches pour les
faire passer (trop long, trop langue de bois, trop dénué d’humour…).
De toute façon, ce type de boulot, aucun politique ne m’en a plus confié
depuis que je me suis moi-même présentée à des élections : sans doute
craignaient-ils que mes convictions politiques prennent le pas sur mes
compétences professionnelles. Ils avaient tort : je crois très sincèrement
que j’y aurai apporté le même soin… avec, néanmoins, les restrictions
indiquées au plus haut.
Je est un autre
Filigranes :
Qu’attendent de vous les personnes qui vous sollicitent pour la (co)réalisation
d’une biographie ?
Marie-Christine Ingigliardi :
Il y a la
demande exprimée (une correction grammaticale et orthographique, un avis
professionnel, une mise en forme ou en pages…) et, au-delà, une attente
plus rarement dite de reconnaissance, une interrogation sur le bien-fondé
de cette démarche qui les a poussés à écrire, des fois sur leur vie même,
sur l’amour, l’amitié… Et surtout d’écoute !
Filigranes : …et
cette écoute légitime la démarche du client ?
Marie-Christine Ingigliardi : Sans doute. J’ai un jour rendu visite, sur
sa demande (elle ne conduisait pas) à une femme à peine plus âgée que moi.
Dans sa petite maison pimpante, il n’y avait pas un livre. Trois mois plus
tard, il y en avait mille. Mille exemplaires, livrés par l’imprimeur, de
la même histoire : la sienne. Sa vie de courageuse petite bonne femme sans
histoire, généreuse, romantico-naïve, un peu victime. Après avoir admis
qu’aucun éditeur ne la prendrait sous son aile, elle s’est inscrite à des
journées/foire/fêtes du livre et, toujours sans voiture, est allée, avec
son pliant et sa table de camping, tenir des stands où elle dédicaçait son
livre à des femmes comme elle.
Je n’ai pas fait de son livre un chef-d’œuvre mais l’accouchement de son
œuvre, les échanges dont elle a été l’occasion, ont changé sa vie. Et ça
lui a coûté beaucoup moins cher qu’une psychanalyse !
Filigranes :
Quels sont les engagements minimaux que vous prenez auprès de vos
clients ?
M-C. Ingigliardi :
Lire le texte,
donner mon avis, proposer un devis pour un travail de réécriture que
j’explique, livrer ce travail dans les délais impartis. Je peux également
me charger de la mise en page et du suivi d’impression.
Écrire, lire
Filigranes :
Pourriez-vous décrire votre activité de lectrice : nommer la façon dont
elle se manifeste ?
Marie-Christine Ingigliardi :
Un crayon à la
main… ce que je fais souvent aussi quand je lis pour moi, quand un passage
me plaît, quand me vient l’idée de le passer à quelqu’un pour lui donner
envie de lire le livre. Là, tout de même, c’est différent : je bosse ! Je
dois quelque chose à quelqu’un. Et d’abord lire son texte en me
dédoublant. Comme c’est difficile, je le lis deux fois : une comme un
lecteur ordinaire, à l’affectif, j’aime ou j’aime pas ; une en
professionnelle, en repérant où ça cloche, où il faudrait raccourcir,
développer… Même quand on me confie le boulot sur disquette, je fais
toujours une première lecture sur papier, comme un "vrai"livre.
Filigranes :
Après le travail de réécriture, pouvez-vous encore distinguer ce qui émane
de vous de ce qui émane de votre client ?Marie-Christine Ingigliardi :
J’ai beau savoir
où je suis intervenue, il m’arrive, à la relecture, de ne pas m’en
souvenir. Il est vrai qu’harmoniser le texte est un de mes principaux
soucis. Mes activités militantes m’ont beaucoup appris dans ce domaine :
rédiger un tract lisible et attrayant en tenant compte des apports
"incontournables"de dix personnes différentes est une excellente école !
Filigranes :
Pouvez-vous préciser en quoi consiste ce travail d’harmonisation ?
Marie-Christine Ingigliardi :
Je crois que
j’aurais beaucoup de mal à travailler pour quelqu’un que je n’ai pas
concrètement rencontré. Il faut qu’il y ait un échange, que le courant
passe. Que je sente qui est cette personne. Cette "connaissance", très
relative, j’en conviens, m’est indispensable pour "l’harmonisation". Un
travail que j’apparenterais à une traduction.
À la lecture d’un manuscrit, des mots me viennent, j’ai envie de déplacer,
d’enrichir, de rayer… Mais ce n’est pas mon histoire, c’est la sienne.
Alors je traduis, du mieux que je peux, ce qu’il me semble bon d’écrire,
dans sa langue à lui.
… ou dans celle de celui auquel il souhaite s’adresser : sécurité sociale,
juge, employeur potentiel, (ex)-amant(e), propriétaire, prof…
Il m’arrive ainsi d’écrire pour des gens qui, en principe, vu leur niveau
culturel, n’ont pas de problème d’expression. Mais ce sont des
spécialistes et, quand ils ont conscience de leur tendance à jargonner
technique, ils me demandent une traduction en langage courant !
Il y a un risque, c’est sûr. Un risque pointé chez nous par le dicton : "traduttore
= traditore", qui peut se traduire, la finesse du jeu de mot italien en
moins, par : "traducteur = traître !"
La question du style
Filigranes :
Justement, comment ne pas trahir la personnalité de celui qui raconte sa
vie ?
Marie-Christine Ingigliardi :J’ai
remarqué que beaucoup de gens qui souhaitent se lancer dans l’écriture
n’osent pas sortir d’un style convenu hérité de kilos de devoirs de
français piteusement récupérés ornés d’une note au-dessous de la moyenne
et de méprisantes annotations rouges : "Puéril !", "Inutile !",
"Incorrect !", "Mal dit !", "Vous êtes décidément nul en orthographe !"...
(moi, l’annotation préférée de mes profs, c’était "trop
journalistique !"). Résultat : on n’utilise plus que les mots et les
formules dont on est sûr, de peur de se tromper. D’ailleurs, la première
demande qui m’est souvent faite quand on m’apporte une biographie, c’est
"Corrigez les fautes… Parce que vous savez, l’orthographe et moi…" Il faut
donc arriver à dépasser – un peu - ce blocage, inciter à laisser aller les
mots… Pour cela, je m’efforce de repérer les passages (il y en a toujours
au moins un) où l’auteur s’est "lâché", s’est exprimé avec ses mots à lui.
Je lui demande s’il a conscience de la différence de ton entre ce passage
et les autres, ce qu’il en pense et j’essaie de dérouler le fil à partir
de là.
Fiction et vérité
Filigranes :
Quelle est la part de ce que les gens vous confient, par rapport à ce que
vous êtes obligée d’imaginer pour donner de la cohérence au récit ?
Marie-Christine Ingigliardi :
Je n’imagine
pas. Je pose des questions. Je réalise une première frappe du document en
corrigeant les erreurs grammaticales et orthographiques évidentes. Pour le
reste, je signale en note les redondances, les incohérences,
éventuellement une proposition alternative ou les manques auxquels je ne
peux pas répondre.
Filigranes :
Si votre client ne souhaite pas modifier sa version, respectez-vous son
choix sans même un petit "pincement au cœur"?Marie-Christine Ingigliardi :
Je me rappelle d’un vieux monsieur qui voulait raconter sa Résistance,
dans le maquis à 18 ans. J’ai plongé dans l’histoire avec passion. J’ai
vite réalisé qu’à part deux ou trois anecdotes pittoresques, je n’avais
pas là affaire à un héros ! Mais il enjolivait, histoire d’offrir à ses
petits-enfants l’image d’un super grand-père ! Je lui ai fait remarquer
quelques incohérences, quelques fanfaronnades, il a accepté certaines de
mes propositions de modifications, d’autres pas… Ma foi… le contexte
historique était respecté, c’était un peu Cocorico mais pas méchant, pas
méprisant, pas raciste… Allez, il avait bien le droit à de beaux
souvenirs, le pépé, non ?
Sauf si l’on prétend faire œuvre d’historien, on a le droit de mentir dans
un livre. Et, quand on raconte sa vie, même si l’on est sincère, on ne la
voit forcément pas sous le même angle que ceux qui l’ont un moment
partagée. Je préviens néanmoins mes clients des incohérences, énormités et
règles juridiques concernant le respect de la vie privée et la
diffamation.
Il m’est tout de même arrivé, je le reconnais, de me dire devant un client
particulièrement entêté : "dans le fond, s’il y tient vraiment à ce
passage mal foutu, c’est son bouquin, pas le mien !".
Filigranes :
La nature du destinataire influe-t-elle sur la liberté d’expression ?
Marie-Christine Ingigliardi :
Évidemment !
Quand une biographie n’est pas destinée à franchir les limites de la
famille, il y a des clins d’œil, des allusions, un patrimoine commun… Mais
aussi des non-dits, des évitements de sujets "qui fâchent". La parole est
plus libre quand on a envie de publier "pour de vrai", même si ce doit
être à compte et diffusion d’auteur.
Filigranes :
La biographie est-elle cosignée par votre client et vous ?
Marie-Christine Ingigliardi : Ce sont eux qui signent. Mais il leur
arrive, quand ils publient un peu plus largement que dans le cercle
familial, d’insérer à mon adresse, un mot de remerciement pour mes
"conseils", ma "patience"… Je ne le sollicite jamais.
Filigranes :
Comment vous positionnez-vous dans l’histoire que vous écrivez ? Impliquée
ou en retrait ?
Marie-Christine Ingigliardi :
Je n’existe pas
en tant qu’auteur mais en tant que lecteur. En cela, je suis totalement
impliquée
Je, soussigné(e)
Filigranes :
Estimez-vous que dans le travail d’écrivain public et biographe, ne pas
signer signifie ne pas s’engager ?
Marie-Christine Ingigliardi : Ne pas signer, ce n’est pas "ne pas
s’engager". C’est donner à l’autre la possibilité de le faire. Écrire,
c’est déjà s’engager. Et ce n’est pas facile de s’engager. Je le fais sans
trop de mal quand il s’agit de mes idées (reportage, écriture
militante...).
L’accouchement est plus difficile quand il s’agit de mes sentiments parce
que j’ai le même souci de vérité et, si j’accepte que les autres
"mentent"(c’est-à-dire laissent libre cours à leur subjectivité, j’ai du
mal à me l’autoriser.
Filigranes :
Pour beaucoup de personnes, le plaisir de signer son œuvre est essentiel :
à vos propres yeux, quelles sont les grandes satisfactions que procurent
votre métier ?
Marie-Christine Ingigliardi :
Donner la parole
aux gens. Les valoriser aussi. J’ai par exemple du plaisir à tirer un
curriculum vitae alléchant d’un bref brouillon retraçant une pauvre
carrière, sans mentir, rien qu’en faisant parler quelqu’un de ce qu’il
aimerait faire, de sa relation au travail, des expériences qu’il n’a pas
mentionnées parce qu’il les croyait sans importance. Quel bonheur quand
quelqu’un relit la lettre que je viens d’écrire pour lui et lance "C’est
exactement ce que je voulais dire !"
Interview
réalisée pour Filigranes
par Marion Clavel et Michèle Monte
Et quand il prend un "e"pour devenir publique ?
C’est du pareil au même, quasiment identique
Râleuse elle peut être, mais aussi angélique,
Inventive, pétillant’ et mêm’ parfois comique
Vidée, sans une idée, ou hyper prolifique !
Ah, voilà qu’aujourd’hui elle fait dans
l’nostalgique !
Il pleut, elle est morose : rien que de très
logique !
Ne vous affolez pas : question orthographique
Elle est, au moins pour ça, au-dessus des
critiques !
Petit palmarès d’un(e) écrivain(e) public/que :
Une ou deux difficiles obtentions RMIques,
Bien des curriculums un brin dithyrambiques
Lettres à un patron macho ou tyrannique
Informations techniques, régionales chroniques,
Quelques discrets recueils de couleur poétique,
Urgence pour un roman autobiographique…
Et puis l’amour, toujours, tragique ou idyllique !
Marie-Christine
Ingigliardi