Christiane Rambaud n°48

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Cet entretien est paru dans
Filigranes n°48
"Paroles de pierres" Décembre 2000
 

"Une singulière envie de produire"


Entretien avec Christiane Rambaud

Un entretien avec Christiane Rambaud, plasticienne.Dans l’entretien ci-dessous Christiane Rambaud, enseignante, puis plasticienne nous livre quelques-unes des étapes qui l’ont conduite des stages "création" du Groupe Français d’Education Nouvelle à la gravure sur pierre et sur bois, en passant par les aquarelles, les gouaches, l’acrylique.
Cette recherche obstinée qui suppose "de toujours chercher ailleurs, plus loin, autre chose" (l’expression est empruntée au poète Jean Tardieu), est aussi une confrontation avec le sens du travail plastique et une interrogation sur ce que signifie "être artiste".

  

L’aquarelle, aux origines de mon travail

Ch. Rambaud : J’ai entrepris le travail de la pierre en 1995, c’est-à-dire 8 ans après mon démarrage avec les aquarelles. Il faut donc que je remonte aux origines.
Je n’ai pas appris l’aquarelle à l’école ou aux Beaux-Arts, mais je l’ai découverte dans les stages du GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle) (1) en Provence. A l’époque, nous parlions d’aquarelle indocile et c’est bien vrai, tant elle part dans tous les sens et nous oblige à un fascinant travail de gestion de l’aléatoire. "Aquarelle : habits de lumière" me confronta au désir de maîtriser la lumière, la luminosité des couleurs et la transparence dans ce mélange où l’eau et les couleurs se repoussent sans cesse.
Cette découverte faite, je me suis mise à travailler bien au-delà du stage, tous les jours, des années durant jusqu’à une première expo : "Ruptures et continuités" en 1991. Je pris peu à peu conscience que tout me séparait des autres, mes amies “ artistes ” qui, elles, étaient supposées savoir faire de l’aquarelle et alignaient les productions figurant des marchés et des rues de Manosque, sur lesquelles chacun pouvait reconnaître jusqu’aux maisons et même les personnes représentées.

Filigranes : "Depuis ce temps, je ne me suis plus arrêtée …" dis-tu.
Ch. Rambaud
  : En aquarelle, j’avais tout à découvrir. Je me suis, peu à peu, construit des savoirs sur les couleurs, sur l’espace, sur la relation entre le plein et le vide. Au début, je remplissais toute la page et les couleurs se chevauchaient !
J’ai appris progressivement à maîtriser l’espace, à laisser du blanc, à organiser le rapport des couleurs entre elles, à penser le mouvement. Selon la manière dont on passe l’eau, les pigments diffusent et courent sur la feuille. Le travail consiste alors à en déposer d’autres qui empêchent l’avancement de telle couleur, qui profitent de la fuite de telle autre. C’est une sorte de lutte dans un espace restreint. Le mouvement, je le travaille maintenant en sculpture et en gravure. Je m’aperçois que l’aquarelle a été un déclencheur.

Comment forme-t-on le projet de continuer ?

Ch. Rambaud : Peu de temps après les premiers stages, je me suis dit : "je décide de devenir artiste". Maintenant, avec le recul, et sachant un peu mieux ce que c’est "qu’être artiste", je trouve que c’est là un bien grand mot. A l’époque, il signifiait pour moi la décision de me mettre à travailler la création plastique, de me mettre en recherche. Dans le même temps, un lien s’est établi avec mon père qui a beaucoup peint lui aussi. J’ai retrouvé une filiation, même si, pour sa part, il n’a jamais dit qu’il voulait "être artiste !" Son maître mot était : "Je ne peins que la réalité" !

Filigranes : C’est en quelque sorte un choix existentiel, peut-être aussi le désir de faire évoluer ton identité ?
Ch. Rambaud
: J’ai été enseignante, militante associative et politique. Depuis 3 ans (date de ma retraite), je ne suis plus la même. Je vis pour créer. Dans la vie professionnelle, vient le moment où se pose la question de l’âge. Dans le domaine de la création, pas du tout. J’ai pu m’engager sur ce nouveau chemin parce que mes enfants sont grands et je peux donc penser à une autre vie.

Filigranes : L’idée de recherche est une idée forte de l’Education Nouvelle. On connaît la phrase “ Je cherche, donc j’apprends… ”. Devenir artiste, c’est donc pour toi comme entamer une recherche dont tu ne connais pas la fin, mais qui te ménagera des ouvertures multiples, et t’initiera à des savoirs nouveaux…
Ch. Rambaud
: À ce moment-là, je reçois très fortement l’influence de nos amis Jean Coste et Antoinette Battistelli. Je suis fascinée par la manière dont Jean évoque son travail de plasticien comme une recherche. A ce moment-là, il y a aussi votre regard, Odette et Michel, qui positive chaque avancée dans mon travail.       
En même temps que les aquarelles, je me lance dans les acryliques, la peinture à l’huile. Je prends les couleurs dans les tubes avec les spatules. Je tente des mélanges, j’attends parfois un mois que cela sèche. Je produis des collages qui, peu à peu, prennent de l’épaisseur, comme dans un bas–relief. Je travaille avec du papier journal, de l’enduit à l’eau, des sables, et ainsi, me semble-t-il, je vais peu à peu vers la sculpture. Je m’aperçois que chaque fois que je travaille les matériaux et non les seules couleurs je ressens comme une exaltation...
Je collectionnais des pierres depuis longtemps. Un jour, je décide qu’il me faut désormais explorer cette matière du dedans.

Carnets et calepins, écriture, lectures

Filigranes : Quel rôle ont joué tes carnets dans cette recherche ?
Ch. Rambaud
: J’en ai à ce jour une quarantaine. Ce sont des carnets de travail. Le premier, j’ai l’ai mis en route dans une des nombreuses réunions du GFEN ! Je dessinais avec des stylos chargés de différentes encres, moi qui "ne savais pas dessiner". Je refusais l’idée d’un apprentissage préalable, renforcée dans cette conviction par ma lecture de Jean Dubuffet dans "Asphyxiante culture".
 

Filigranes : C’était une sorte d’autorisation qui t’était donnée là…
Ch. Rambaud
: Oui, j’ai beaucoup appris de Jean Dubuffet, de Gaston Chaissac, d’Antoni Tapiès. C’est un peu grâce à ou à cause de leur œuvre mais aussi de leurs écrits que j’ai avancé, parallèlement à ce que je découvrais dans les stages. Ce qu’ils disaient, je le prenais à mon compte et j’en faisais mon viatique. J’y trouvais les arguments théoriques qui me confortaient dans l’idée que “ moi aussi, je pouvais créer” et qu’il fallait que je m’y mette !

Filigranes : Autrement dit, des éléments de réflexion biographiques….
Ch. Rambaud
: A un moment de ma vie, j’ai beaucoup avancé avec la lecture de l’autobiographie de Calder lorsqu’il évoque ce petit cirque mobile qu’il avait fabriqué et avec lequel il voyageait de par de monde. Quand on lit ce texte, on a l’impression d’entendre sa voix ! Il était technicien puis ingénieur et a occupé divers emplois et cela l’a aidé du point de vue technique à fabriquer tous ces petits objets.    
Mais je ne suis pas restée dans l’anecdote. La création vue sous l’angle biographique m’a surtout permis de comprendre qu’il faut certes avoir le désir et le projet de devenir artiste (j’insiste), mais que l’artiste ne sort pas du lot des humains pour autant. C’est une personne qui, elle aussi, vit au jour le jour et bricole pour assurer le quotidien, mais – c’est là la différence – l’artiste ne se prive pas d’échafauder dans le même temps de nombreux projets fous pour en réaliser quelques uns !

Filigranes : Les carnets sont aussi un lieu d’apprentissage à l’abri du jugement…
Ch. Rambaud
: Avec les carnets, j’ai fait mon éducation du trait, de la mise en page, et un peu celui de la couleur aussi. Je me donnais des consignes : fermer les lignes courbes, passer dix fois sur la même ligne, etc. Ainsi j’acquérais une certaine assurance de la main et du trait. Ensuite, j’ai acheté des boites de feutres, toute la gamme des couleurs possibles. Je remplissais les pages, je travaillais les aplats, les couleurs, le mouvement. Je faisais plusieurs dessins par jour, jamais deux fois le même, et je m’étonnais de voir tout ce que je produisais. Je commençais à me construire le concept d’infini.

Des carnets qui ne comportent pas que des dessins…

Ch. Rambaud : C’est vrai, dans ces carnets il y avait aussi de l'écriture. J’ai commencé par placer, en marge ou en regard de mes productions, des textes qui ne devaient pas nécessairement leur correspondre terme à terme. Ma règle a été ensuite qu’une page sur deux soit écrite : une alternance systématique entre écriture et dessin, quelle que soit la production par laquelle je commençais. Cette contrainte m’a donné de l’assurance et m’a d’ailleurs conduite à proposer des textes à Filigranes.           
Trouver de l’assurance dans les graphismes me donnait de l’assurance pour les mots, et inversement. Les deux productions se nourrissant l’une l’autre. Produire quelques lignes qui feraient le début d’une histoire ou qui décriraient ce que l’on voit en privilégiant l’insolite, donne une sorte de fond sur lequel s’appuyer et dans lequel puiser une force inattendue.

En les feuilletant récemment, j’ai compris que ces carnets m’avaient nourrie sans que rien ne soit planifié. J’ai redécouvert par exemple tout ce que j’avais pu produire dans la forme du fragment : fragments de textes, de graphismes, entrelacements et imbrications d’objets. J’ai aussi été étonnée de ce que j’avais fait en matière de cernes, ce qui m'entraîna du cadre au hors-cadre, du dit au non-dit. Cela me semble loin maintenant, et pourtant...

(c) Gravure Christiane Rambaud

La dure matière minérale 

Ch. Rambaud : Je sais que ces cernes sont en lien avec le mouvement du ciseau sur la pierre et interviennent aujourd’hui jusque dans le choix de cette pierre dans mon actuel travail de sculpture. Je choisis mes pierres parce qu’elles ont telle ou telle forme, comme si elles étaient déjà cernées. J’ai repéré une chose toute neuve : le travail des formes rondes, des visages, des personnages. Cela s’est structuré peu à peu et depuis je n’ai plus arrêté.

Filigranes : Quelles contraintes la pierre impose-t-elle ?
Ch. Rambaud
: Intervenir sur la forme initiale d’une pierre est presque impossible tant le galet est dur. Je réfléchis donc aux choix qui sont les miens : dépôts morainiques glaciaires ou pierres métamorphiques avec inclusions de grenats trouvés en Isère ; grands galets ronds venus de l’Ubaye et pris dans le lit de la Durance (des pierres qui sont arrivées là avant la construction du barrage de Savines-le-Lac, il y a déjà plusieurs dizaines d’années) ; serpentine et marbres de l’Ubaye ; granit de Bretagne ; etc. C’est chaque fois différent et singulier.

Filigranes : Avec quels outils travailles-tu ? Et quels liens maintiens-tu avec le travail de dessin ?
Ch. Rambaud
: J’ai commencé en 1995 avec une meuleuse électrique. Actuellement j’en ai une pneumatique. L’outil n’est pas volumineux mais on s’est un peu moqué de moi quand même lorsque je suis allée l’acheter chez un marchand de matériaux ! Je me suis aussi offert un compresseur. Cet outil, on le tient à deux mains : l’une sur le corps, l’autre sur la poignée. Tout le corps participe au mouvement. J’utilise des disques diamants pour couper la pierre, ôter de la matière. Chaque pierre : grès, granit, marbre, nécessite un disque différent. Des disques pour matériaux ordinaires servent à travailler en surface, à creuser légèrement, à polir. Puis il y a des disques abrasifs aux grains plus ou moins fins pour polir au final. La pierre est calée, tant bien que mal sur un établi. Tout bouge dans tous les sens ! Il me faudrait investir dans un étau spécial muni de pointeaux, mais cela est bien cher. Travailler avec une meuleuse est fatiguant parce que c’est un outil dangereux et qui demande une grande attention. Quand on coupe le contact électrique, le disque continue de tourner et peut carrément trancher la table de travail ! Il faut prendre des précautions : je porte un masque, des lunettes, un casque sur les oreilles. Je suis harnachée et je me protège la tête car le travail dégage énormément de poussière, on en sort blanc de haut en bas ! Ceci étant dit, cet outil donne une puissance qu’on ne trouve pas avec un ciseau. Impossible de trancher un galet sans meuleuse.

Filigranes : Qu’en est-il des risques dans le domaine du travail plastique et par rapport à l’objet que l’on veut produire ?
Ch. Rambaud
 : Le galet, on ne peut pas le casser, mais l’outil peut déraper et il est tellement puissant que le moindre geste laisse une trace. Quand on travaille à la main il n’y a pas ce risque de la trace mais le risque de casse... On peut certes revenir sur une trace inopportune faite à la meuleuse, mais on perd beaucoup de matière. On avance donc avec les ratages, l’aléatoire, une morsure qu’on a faite et qu’on ne voulait pas. Ou bien on change de pierre et on fait autre chose.           
En réalité, ces incidents ne surviennent pas souvent car j’ai le geste assez sûr, ce que je dois certainement à mes travaux antérieurs dans les carnets ainsi qu’à l’aquarelle qui m’a initiée à la problématique du contrôle.          
En revanche, le calcaire coquillé de Ménerbes dans le Vaucluse qui se travaille au ciseau, à la pointe, à la gradine, se casse facilement si l’on donne un mauvais coup parce qu’on n’a pas décidé de s’arrêter au bon moment. Le marbre aussi est délicat, mais je n’en ai pas encore travaillé sérieusement. C’est un de mes projets.

Depuis 3 ans, je découvre, parallèlement au travail de la pierre, une nouvelle matière : le zinc. Je grave à l’acide nitrique, je fais de l’eau forte et explore d’autres techniques. Je m’étonne de chaque morsure, je gère l’aléatoire, je recherche des textures qui m’évoquent les strates géologiques et les poussières astrologiques.     

Vers l’expo

Filigranes : Un artiste commence à travailler pour lui, s’essaye et cherche. Arrive le moment où il a envie – ou besoin - de montrer ce qu’il est en train de faire : carnets, gravures, pierres, autres travaux… Quel rôle jouent les expositions ?
Ch. Rambaud
: Ma première expo, je l’ai faite après quatre ans de travail. J’étais très contente mais j’avais l’impression de sacraliser un travail qui ne méritait pas tant d’égards. Un peu comme un texte qui paraît pour la première fois dans une revue, sauf que le texte est unique alors que l’exposition multiplie les travaux d’une même personne.

En exposant, on prend de la distance par rapport à son travail. C’est l’occasion de jeter un œil critique sur ce qu’on a fait et que l’on expose ; en même temps, à titre personnel, on mesure avec étonnement et satisfaction le chemin parcouru. Les visiteurs vous apportent beaucoup : je repense à ce jeune homme qui était resté planté pendant une dizaine de minutes devant une certaine production – il avait choisi de ne regarder que celle-là dans toute l’expo – et était venu me remercier de l’avoir produite, moi qui n’aimais pas cette production et qui avait failli ne pas l’exposer ! Etonnant ! J’en ai tiré la conviction que nous ne sommes pas maîtres de ce que nous déclenchons, ni des échos qui peuvent naître à partir de telle ou telle œuvre. C’est là une raison en elle-même suffisante pour décider d’exposer !
A côté de ces grandes expositions, je me suis attachée à exposer au moins une fois par an avec d’autres plasticiens. En effet, quand on crée il faut entrer dans un rapport social avec d’autres, sous peine de tourner en rond. Autrement dit, dès qu’une série est prête, je la sors, que ce soit dans une bibliothèque, un bistrot, une salle quelconque. Je ne parle pas des galeries marseillaises avec lesquelles les contacts ont été très décevants : on ne cessait de me demander de refaire des choses déjà anciennes, dans tel style, dans tel autre, au hasard, des collages, des travaux avec la matière ou du papier journal, mais surtout en plus grand nombre afin de pouvoir vendre. J’en tirai une impression de retour en arrière obligé et surtout une grande frustration.

Filigranes : Exposer, cela pose aussi de nouveaux problèmes techniques.
Ch. Rambaud
: Oui, je l’ai très fortement ressenti avec mes pierres gravées. Quand est venu le projet de les exposer, il a bien fallu qu’elles tiennent sur des socles. Cela m’a posé un vrai problème. Je me suis aperçue que je passais presque autant de temps à faire un socle qu’une tête : il faut percer, trouver une tige, et on est face à des problèmes techniques importants. Et puis vient la question : qu’est-ce que c’est qu’un socle ? Brancusi disait qu’il fait partie de la sculpture, qu’il faut donc le travailler ; d’autres pensent au contraire que le socle doit être neutre et ne pas gêner la sculpture. Où est la part des choses entre le socle travaillé et la sculpture elle-même ? Une nouvelle problématique surgit.

Filigranes : Et la vente…
Ch. Rambaud
: Dans toute expo, j’affiche des prix. Quand je fais les bilans, je constate que je vends un peu… malgré tout ! Trois, quatre pièces par an, ce qui me paye les outils et donc ce n’est pas mal.

Changement d’échelle

Filigranes : À Reillanne, tu as exposé dans un espace naturel et pendant tout un été…
Ch. Rambaud
: Oui, 5 mois ! C’était la première fois et j’en avais envie depuis longtemps. Envie de changer d’échelle. Des œuvres semi monumentales : une pièce sculptée dans un morceau de tilleul d’1m60 de haut  environ; une pièce mixte “ chêne + hêtre ” d’une hauteur totale de 2m. Quel chemin parcouru depuis les aquarelles ! Je n’étais même pas sûre de pouvoir terminer. J’ai travaillé sur place pendant 3 mois, dans un champ, non loin du village pour des raisons de commodité. Les habitants qui se promenaient venaient me voir, m’interrogeaient avec beaucoup d’humour sur ce que je faisais.
 

Travail de la pierre, travail de la langue, quels liens ?

Ch. Rambaud : Depuis que je sculpte, je fais moins de carnets au jour le jour. Les carnets ancienne manière contenaient des fragments de récits, de poésie. Aujourd’hui, j’utilise mes cahiers “ Projets plastiques et protocoles ” comme journaux de travail : j’y fixe mes projets, mes réflexions sur l’avancement de mon travail, sur les difficultés auxquelles je me heurte, mais aussi ce que je remarque, les personnes que je rencontre et ce qu’elles m’apportent. J’y mêle des réflexion théoriques, des choses lues, actuellement par exemple à propos de Tapiés et Beuys autour de la question : en quoi le langage plastique est-il une écriture ? (2)

Filigranes : Tu évoques les écritures d’accompagnement, mais ce n’est pas tout…
Ch. Rambaud
: Autant l'écriture de mes carnets m’a donné de l’assurance, autant le travail de la sculpture m’a aidée à écrire pour filigranes. Je me suis dit que travaillant de la matière, je pouvais certainement travailler des mots.

Quand j’ai découvert l'écriture, dans les premiers ateliers vécus avec le GFEN (c’était en 1983), je pensais très naïvement que le travail d’écriture consistait à inventer des mots et qu’on ne pouvait pas écrire avec des mots de tous les jours ! Du coup j’avais produit un texte totalement nouveau et totalement incompréhensible. Maintenant, je me dis que le travail des mots ce serait plutôt d’associer de manière inattendue des mots existants, de créer cette sorte de surprise, de rupture, qui naît de voisinages neufs, à la manière de ce que je fais dans mon travail plastique en mariant le hêtre et le chêne, le bois, le métal.         
Pour écrire, je collectionne des mots, je pioche dans des listes mais je ne taille pas et j’ai le sentiment, certainement trompeur, que je ne réécris pas. Je ne me sens d’ailleurs pas écrivain. Etre écrivain, c'est écrire mille pages pour n'en publier qu'une, de même que le plasticien fait des centaines de têtes mais n’en expose que quelques-unes.

Filigranes : Les pierres parlent-elles ?
Ch. Rambaud
: "Paroles de pierres" me renvoie à ce que l’on grave mais aussi à la dimension inaltérable de toute gravure. Une forte prégnance, quelque chose de durable et solide. En même temps, on peut changer, faire autre chose. Ce qui est émouvant dans la pierre, ce sont les traces d’histoire, les âges géologiques face auxquels nous ne sommes que de l’infiniment petit.

Je finis par savoir bien des choses au sujet des pierres ; je retrouve des notions anciennes acquises autrefois sur les bancs de l’école pendant les cours de géologie. Au fond, mon désir ce serait d’inventer des objets qui n’ont pas encore existé, de le faire avec des pierres anciennes. Innover mais avec des formes, en quelque sorte, éternelles, qui existent depuis toujours. Je n’ai plus le temps de faire autre chose, je n’ai qu’une envie : produire.

 

Cet entretien a été réalisé
par Odette et Michel Neumayer

 

1- GFEN : Groupe Français d’Education Nouvelle. Ce mouvement d’éducation, de recherche et de formation organise des stages, des ateliers de réflexion et de création autour de l’idée du "Tous capables" et du "Tous créateurs".
Contact en Provence : GFEN Provence
1, Allée de la Ste Baume
13470 CARNOUX EN Provence

2- "Joseph Beuys" par Démosthène Davvetas. Dans la même collection, le volume "Antoni Tapiés"

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