Aline Autin-Grenier n°33

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Cet entretien est paru dans
Filigranes n°33
"Au pied de la lettre" Novembre 1995
 

La femme de l'écrivain...


Entretien avec Aline Autin-Grenier

Aline Autin-Grenier est enseignante de Lettres Modernes dans le Vaucluse où elle vit à la campagne avec l'écrivain Pierre Autin-Grenier depuis une vingtaine d'années. Elle a publié dans FILIGRANES

Q : Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est d'aborder la question de l'écriture à travers ce que peut en dire une personne qui, comme toi, partage la vie d'un écrivain. Une personne qui occupe la position de témoin, de spectateur peut-être, face à un travail en cours. Autrement dit, de quoi témoigne "la femme de l'écrivain", ce personnage emblématique, à la fois irremplaçable et méconnu, cette figure de l'ombre sans laquelle bien des textes n'auraient pas vu le jour…

Sur la scène littéraire et sociale

A.A-G.: Depuis 3 ou 4 ans, Pierre est assez souvent invité à lire ses textes et à rencontrer le public. Il se déplace beaucoup pour quelqu'un qui n'est connu que dans un milieu littéraire restreint. Il a été invité à Caen, où François de Cornières organise les "Rencontres pour lire", à Châtenoy-le-Royal dans la banlieue de Chalon-sur-Saône, (non loin de Lyon où il a ses racines), et dans bien d'autres lieux encore... 
Or, il lui est brusquement devenu impossible de se déplacer si je ne suis pas là. Invité récemment à Landreville (Aube), - c'était le premier week-end de la rentrée-, je dis : "tu prends la voiture", car étant donné la date et la distance ça ne m'enchantait pas follement. Il n'en fut pas question. Il déclare : "de toutes façons, sans toi, je n'y vais pas". Il semble très anxieux à l'idée de lire, de rencontrer des personnes, de discuter. Mais quand il est vraiment dans le bain, les choses se débloquent. Dans les faits, mon rôle se réduit à peu de chose. Sur la route, c'est lui qui assure la conduite. Mais ma présence est sécurisante et il y a l'envie de partager.
Nous sommes allés à Angers, à Nantes, à Caen, à Romorentin. Nous sommes reçus en tant que deux. A Lagrasse (Aude), cet été, les éditions Verdier organisaient "le banquet du livre", et à la fin ils nous ont dit : on va vous appeler "les Autin(s)" !  

Q : Ce serait le partage d'une chose complexe, quelque chose entre l'angoisse de la relation à nouer et le bonheur de la reconnaissance sociale ?   
A.A-G.: Oui, mais il ne veut pas faire peser son angoisse sur moi. Il veut plutôt partager l'accueil qui lui est fait. Quand il est invité : ces contacts, ce côté chaleureux de la rencontre. Il a de plus en plus besoin de se déplacer. Lui qui à un moment se croyait sédentaire a besoin de partir, de découvrir des gens, des lieux...
Dans notre vie à Carpentras, Pierre se plaint de ne pas avoir de contacts, de communication dans le quotidien. Comment s'en étonner avec toutes les affaires, la situation politique dans la ville, etc. Restant à la maison, qu'il aime beaucoup et qui heureusement est en campagne, il n'a pas non plus de contacts professionnels. Vu son activité d'écrivain, ou bien on lui écrit, ou il écrit, mais partager  le quotidien, c'est rare.

Q : Ces contacts alimentent son écriture.
A.A-G. : Forcément ! Mais jamais il n'a directement écrit un texte sur un déplacement. Cela répond à un besoin de relations sociales. Quand ce manque est comblé il repart mieux sur sa propre création.

 L'épreuve de la métamorphose

A.A-G.: Dans ses textes récents, et surtout dans le dernier recueil "Je ne suis pas un héros", Pierre me fait intervenir comme personnage, ce qui est nouveau! "[...] ma femme me dit [...] etc.". Vous l'avez remarqué, je suppose ! Il ne le faisait pas du tout dans les textes antérieurs. Dans "Chronique des faits" il y avait Ian, le chien qui est mort maintenant. A partir des textes du "Héros" - je suis présente en tant que "la femme de l'écrivain".

Q: Quelle est ta réaction ?
A.A-G.: Cela pose problème quand il lit le texte en public. Je ne m'y retrouve pas, cela ne me correspond pas. Lors de la rencontre, il y a trois semaines à Landreville il a lu "Je crois bien que je suis comme Marcel Proust". On y trouve cette phrase à propos de son travail d'écriture "...et ma femme vient me demander si ce n'est pas bientôt terminé parce que pour elle ce n'est pas un exploit". Il semble donc que je vienne le déranger et puis que je sous-estime le travail de création, alors que pas une seule fois je n'ai eu la moindre attitude qui ressemble à cela.
Comment l'expliquer ? Peut-être se sentait-il "inférieur" à ce qu'il aimerait être, tant sur la plan de sa production que sur celui de nos relations ? Une hypothèse : il me traiterait  dans ses textes comme "la bonne femme", ce qui le remettrait dans son rôle "d'homme !?" Redoute-t-il de me voir éventuellement jouer un rôle de ce genre ? Devance-t-il ce qu'il craint ? Ou bien est-ce le retour d'un archétype, "la bonne femme qui vient houspiller le mec..." ? 

Q: Cela voudrait dire que tu as lu ces passages au 1er degré ? Tu es quand même une lectrice assez avertie pour savoir la différence entre un personnage de nouvelle et une personne existant réellement !
A.A-G. : En effet, …à propos de Madame Cézanne, on a dit qu'à certains moments les portraits de sa femme, Cézanne les utilisait comme on utiliserait un rocher. Il utilisait la structure de la forme qu'il voyait ! Cela donne à réfléchir… Je ne veux pas que mon personnage soit le vrai, mais cela me gêne que ce soit un personnage trop stéréotypé.

 

La figure de la confidente

Q : Notre hypothèse est que la personne qui partage la vie quotidienne de l'écrivain - cela peut être sa femme, un ou une amie, etc. - crée les conditions matérielles pour que l'écriture advienne et joue un grand rôle dans la vie d'un écrivain… Avant même de partager la reconnaissance sociale, y a-t-il d'autres moments, plus en amont dans le processus de l'écriture, où il fait appel à toi ?
A. A-G. : Pas vraiment. Quand il est dans l'écriture d'un texte et si je lui demande si je peux lire, il me dit :"non, je préfère quand tout sera fini." Il fut un temps où il me faisait lire au fur et à mesure. Maintenant, il cherche vraiment seul. Mais en même temps il me dit que, si je suis à la maison, il est moins stressé et qu'il travaille mieux.

Q : Que penses-tu qu'il attendait de toi, dans la période où il te donnait des textes à lire ?
A.A-G.: Pas vraiment une critique, de la bienveillance. Il voulait aussi m'informer de l'avancement de son travail.

Q : Est-ce que tu n'es pas tentée de recommander à Pierre telle ou telle lecture, en fonction de ce qu'il est en train d'écrire ?
A.A-G. : Lui conseiller un livre, cela m'est peut-être arrivé. Cela dépend de la situation. Mais en règle générale, c'est l'inverse. C'est plutôt lui qui lit et qui me recommande certains auteurs. Il a quand même plus le temps de feuilleter et sur la table il y a toujours une importante pile de livres.  

Q: Est-ce que tu interviens sur le fond des histoires ?
A.A-G.: Si je propose une modification, il convient parfois du bien-fondé de ma remarque, mais la plupart du temps, il préfère garder son texte en l'état. Ce qui fait qu'il y a des remarques que je ne fais pas. Dans le domaine de la construction de phrases par exemple (je les trouve parfois un peu heurtées), ou de la ponctuation. Bref des choses qui me surprennent mais qui sont quand même correctes...
Quant à avoir joué un rôle dans l'écriture d'un  texte, je repense à "La baraque bleue sur la colline" l'une des nouvelles de "L'ange au gilet rouge". Il s'y était fortement investi et là j'ai l'impression qu'il m'en parlait davantage qu'il ne le fait actuellement. Peut-être à cause du côté narratif. J'ai eu l'impression d'avoir exercé comme une influence sur le développement de certains textes. On suivait la narration et quand il descendait de son bureau, il me parlait de l'avancée de son travail. Les textes qu'il écrit en ce moment sont tellement différents! De l'autobiographie détournée, toujours détournée. C'est un processus beaucoup moins communicable et partageable...

 Le corps de l'œuvre

Q : Didier Anzieu dit dans "Le corps de l'œuvre" (1981) qu'il y a cinq phases dans le travail créateur [...], et que lors de la seconde étape [...] "la solitude nécessaire lors de la phase précédente devient un handicap. Le créateur est assailli de doutes [...] ce qu'il est en train de saisir, redoute-t-il, n'a aucune valeur. C'est un simple délire personnel. C'est faux, laid, mal, pis cela le ferait apparaître différent des autres [...] A quoi l'on reconnaît rétrospectivement l'intervention corrosive de la pulsion d'autodestruction dont Freud a constaté d'expérience qu'elle se précipite sur toute création en train de se faire pour tenter de l'annihiler dans son germe ..."

A.A-G.: C'est très intéressant parce que Pierre est toujours en train de dire : "ce que je fais est parfaitement inutile" ; à quoi je lui réponds "tout ce qu'on fait est inutile, mais il faut le faire avec conviction et chasser l'idée de l'inutile qui inhibe". Dans son dernier texte "Question de plomberie existentielle" on retrouve le détournement. En fait, cela prend une forme vraiment aiguë. Il l'a toujours dit mais...

Q : ...cela semble prendre de l'importance au moment même où il a de plus en plus de reconnaissance du public.
A.A-G.: C'est en fait un problème très ancien et très intérieur. II semble que plus il est reconnu, plus il craint d'être reconnu. Il y a actuellement au moins deux éditeurs importants ("L'Arpenteur" et "Verdier") qui lui demandent des manuscrits et c'est la première fois où je le vois avec si peu de textes. S'ajoutent aussi des problèmes familiaux qui l'absorbent beaucoup et dont il n'arrive pas à s'extraire...

Q : Didier Anzieu ajoute : "Un moyen de surmonter cette résistance, réside dans la rencontre d'un interlocuteur privilégié, ami et confident, de même sexe ou non, avec lequel le créateur entretient une connivence décisive sur plusieurs des quatre plans suivants - intellectuel, fantasmatique, affectif, narcissique - mais non sur tous (un écart est indispensable pour qu'un échange mutuel et soutenu s'établisse."  (p.113-114)
A.A-G.: ...sans que cela s'accompagne nécessairement toujours de vraies conversations sur le sujet. Cela peut être une connivence tacite. Il sait que je suis là, attentive à ce qui survient. Il est même déjà arrivé qu'il me dise au moment de l'endormissement : "Il y a une note qui me vient. Peux-tu m'écrire telle phrase sur un bout de papier ?"

Ecrire soi aussi

Q: Est-ce que tu écris toi aussi ?
A.A-G.: Depuis trois ans je suis harcelée par les tâches quotidiennes et je n'ai plus assez de force pour écrire moi-même. Je n'ai plus le jaillissement qui donne l'envie, le désir. Me manquent aussi les stages d'écriture que je faisais avant. C'était très stimulant pour moi. Au moment du stage cela me réveillait, même si je n'écrivais quand même pas beaucoup. Mais chaque fois que j'ai écrit quelque chose cela m'a donné un sentiment de plénitude. J'ai écrit dans une sorte d'urgence et de nécessité qui n'existe plus, qui est comme voilée par toutes les tâches quotidiennes, par la fatigue...

Q: N'y a-t-il pas une frustration à ne pas écrire ?
A.A-G.: Si. Mais je me sens tout autant frustrée de ne pas aller me promener comme je le voudrais...

Q : La difficulté ne viendrait-elle pas de ce quelqu'un d'autre fait précisément ce travail d'écriture à côté de toi ? Repensons à la théorie d'Anzieu qui évoque la notion de "mise en crise" pour écrire. Est-ce envisageable qu'il y ait deux personnes "en crise" sous le même toit ?
A.A-G.: Il doit y avoir de cela aussi. Il y a sans doute ce manque de force dont je parlais tout à l'heure, un manque d'orgueil aussi peut-être.

Q: Tu penses que pour écrire, il faut de l'orgueil ?
A.A-G.: A défaut d'orgueil, au moins une immodestie taraudante ! Il faut vraiment se sentir le seul à être capable de dire telle chose de telle manière. Quand Pierre écrit, il a déjà pris des notes et il a envie d'écrire. Il me dit : "Cette note, il faut que je m'y mette". Quand sa table n'est pas rangée, je lui dis : "Il n'y a rien de plus urgent que d'écrire et pour le reste...". Parfois, il se met à écrire en se disant : c'est mon métier, il faut que je le fasse ! Il a ainsi écrit des textes très forts avec une volonté de travailler semblable à la mienne quand je suis devant mes classes. Pierre écrit surtout poussé par l'urgence de s'exprimer mais aussi poussé par le devoir. Cela donne quand même de beaux  résultats.
Ce que j'aurais envie de dire au lecteur de Filigranes, c'est que vivre avec quelqu'un qui écrit est une expérience extrêmement enrichissante. Voir une création se faire sous tes yeux, c'est toujours émouvant et comme maintenant je commence à partager la socialisation, c'est encore plus enrichissant. Est-ce que cela m'évite de m'investir dans ma propre écriture ? Est-ce que c'est à la fois confortable et frustrant ? Sans doute.

 Il faut prendre le taureau par les cornes

Q : Est-ce que tu aurais envie d'aller de temps en temps ranger ses papiers, de lui dire "tiens, là tu as un texte qui dort..."
A.A-G.: Oui, mais je ne suis pas là pour le déranger. Quand il me dit
 : "j'avais commencé ce texte et je l'ai flanqué à la poubelle", je lui réponds que ce n'était vraiment pas la chose à faire ! Tout cela est un accord tacite entre nous. Il me dit : "je ne peux pas écrire, ma table est pleine de papiers". Je lui réponds : "Range!". Il faut prendre le taureau par les cornes. Bref, si j'avais à décrire mon rôle, je dirais que c'est un rôle rassurant, sécurisant, et surtout attentif à ce qui va naître.

Cet entretien a été mené
par Odette et Michel Neumayer

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 * * *

Pierre  Autin-Grenier avait, dans la foulée, confié ce texte à la revue Filigranes avant qu'il ne soit repris dans le recueil "Toute une vie bien ratée " paru par la suite chez Gallimard, Collection l'Arpenteur (1997).

 L'écrivain

Voleur de chevaux ou éleveur de chiens, voilà des gagne-pain qui peuvent vous mener loin dans la vie, je sais. Vendre au coin des rues du sang à la sauvette, dans certaines sous-préfectures de province, aussi peut vous procurer de quoi vivre honorablement; tout comme embaumeur ou taxi-girl d'ailleurs resteront toujours des métiers éminemment  lucratifs et qui, de surcroît, vous autorisent à marcher en tous lieux tête haute. Jeune homme j'ai entendu cette chanson cent mille fois et davantage dans la bouche de géniteurs fiévreux dont l'impatience à me voir finir de la sorte, employé de banque ou thuriféraire à la cathédrale, n'avait d'égale que leur enthousiasme à se débarrasser de moi, tel on se défait d'un personnage douteux ou d'un objet simplement devenu inutile et encombrant. Tôt j'ai donc fait mon baluchon sans suivre ces précieux conseils et, pareil un évadé, m'en suis allé nulle part emplir ma besace de rêves ; resquiller quelques levers de soleil sur l'océan, l'hiver, ou bien chaparder un peu de fraîcheur au ventre accueillant des tavernes, l'été. Et tout cela pour des clous, bien entendu !  

Aujourd'hui me voici à l'âge des bilans ; je m'interroge, la nuit, pour savoir ce qui a bien pu m'entraîner dans cette activité de perdant : aligner des mots à la queue leu leu sur une page blanche dans l'espoir insensé d'en faire des phrases ! Oisif déterminé et paresseux par choix, sans doute n'avais-je d'autre solution pour échapper à la monotonie du commerce et de l'industrie. Vous êtes à la tête d'une quincaillerie renommée dans un quartier chic ; architecte émérite, vous commandez un régiment de terrassiers en vue de l'édification d'une moderne pyramide : ça roule ! Moi, il m'a fallu d'abord duper plusieurs éditeurs avant de voir mes premiers chefs-d'œuvre imprimés et d'être ensuite par eux grugés ; sans avouer que les nombreux lecteurs escomptés, gens tout de finesse et sensés, n'ont guère suivi le mouvement ; d'où, parfois, un parfait moral pour grimper à l'échafaud ! Suis-je vraiment écrivain ? Je me dis : n'aurait-il pas été plus sage d'embrasser plutôt une carrière de voleur de chevaux ? La réconfortante réponse m'est venue ce matin.  

 La rédactrice en chef d'une revue littéraire influente et bien informée m'a téléphoné. Elle n'y est pas allée par quatre chemins : c'était pour demander une interview. En somme, ouf ! J'étais bien écrivain ! Jusqu'à ce jour en effet personne ne m'avait jamais rien demandé. Ou alors seulement mon âge, qu'on avait jugé trop avancé ; le coin où je vivais, trop reculé. Une fois, à l'occasion de la parution d'une plaquette de poésie, j'avais eu ma photo dans "L'Echo du Comtat", mais elle était floue et même mon frère ne m'avait pas reconnu. Bref, nul ne s'était jamais inquiété de savoir si ma préférence allait plutôt à la viande rouge qu'au poisson frit, si j'en pinçais davantage pour les brunes que pour les blondes et quelles étaient mes vues sur la situation actuelle en Mongolie-Intérieure. Pour exister et persévérer, je n'avais jamais eu d'autres soutiens que la foi du charbonnier et quelques bonbonnes de Pouilly-Fuissé. Mais aujourd'hui je pressentais bien que tout cela pouvait changer.  

- "Et pourquoi pas le poisson rouge dans son bocal aussi !" j'ai dit, furibard, quand la rédactrice en chef m'a sèchement expliqué que ce n'était pas moi qu'elle souhaitait interviewer mais ma femme et si je voulais bien avoir l'obligeance de la lui passer au plus vite. Standardiste mortifié, j'étais à deux doigts de raccrocher ; la revue préparait un numéro "Spécial femmes d'écrivains", c'était mieux que rien ; forte diffusion, papier glacé… Tantôt j'ai vu atterrir sous mon nez un demi charter de cérébraux venus piétiner mes plates-bandes et picorer mon pain ; caméra au côté, stylo en main. Aline (c'est ma femme) s'était faite coquette et ne paraissait pas autrement troublée ; plutôt à son avantage dans son nouveau rôle et drôlement babillarde déjà cependant que je m'affairais au service des apéritifs. Quand tout ce petit monde fut bien installé, j'ai déclaré que je m'en allais au "Bar des Glaces" boire des bocks pour ne pas déranger. Je fis d'emblée l'unanimité.  

Accoudé au zinc devant mon blanc j'épongeai en quelques heures cent ans de solitude et de multiples tourments. Ma dulcinée n'allait-elle point, par quelque zèle intempestif, me faire passer pour plus excentrique que je ne le suis ou, pire, détourner à tout jamais de ma prose l'un ou l'autre de mes six cent trente-neuf lecteurs ! Chaviraient, comme ça, dans ma tête plein de petites angoisses qui s'amplifiaient de tous les verres que je vidais. Quand, n'y tenant plus, je suis rentré, heureusement tout s'était parfaitement passé. Ma femme s'était octroyée mon fauteuil pour répondre aux questions de l'équipe qui justement finissait une séance de photos. J'aurais bien aimé, moi aussi, qu'on me photographie ; et même à côté d'elle. Mais, ma foi, tant pis, je me dis. Comme c'était terminé, tout le monde s'en est allé; on m'a dit un peu au revoir et distraitement remercié aussi pour l'hospitalité. A part moi je pensai: écrivain, c'est vraiment rien. 

 P. A-G.                  

 

 

 
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