N°18

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Filigranes N°
18
"Belles théories et pures fictions"
Juin 1990
   
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Edito

BELLES THEORIES ET PURES FICTIONS...
tissées au fil des éditoriaux de FILIGRANES

 "L'écrivain n'est pas celui qui sait écrire, mais celui à qui cela pose des problèmes." Thomas Mann

             T... comme Théorie
"La théorie, le travail théorique serait la façon qu'a le sujet de retarder le retour de ce qui l'inquiète"
aurait dit Sigmund Freud, cité par Deleuze. Dilemmes... La théorie prise au jeu de l'explicatif : volonté de maîtrise, donc volonté de pouvoir ? Ou bien la théorie comme hypothèse, grille de lecture, pari qu'un sens naîtra du travail d'un lecteur ? La théorie comme réassurance de soi (auteur et/ou lecteur) par la présence du texte théorique, lisse, clos et pétri de certitudes, ou la théorie comme lieu de recherche provisoire dans la langue, le temps d'un désir de savoir ?

 

             H... comme Hypothèse
Et si tout récit (qu'il soit théorique ou de fiction) était de l'ordre d'une construction de savoirs ? Et si tout texte était une hypothèse sur le monde : un énoncé conditionnel, un rapport à la réalité construit dans les mots, dans la langue ?

Hypothèses pour un voyage au centre du texte (Pièce en cinq actes)
Acte 1 : Où l'on éprouve comme un état de saisissement. Il y a nécessité de partir, car on est cerné par le manque...
Acte 2 : Où l'on a peur du flou, de l'inconnu et de la vacuité du temps perdu, mais il faut se qualifier...
Acte 3 : Où s'érige le code organisateur. Où s'affirme la construction du sujet...
Acte 4 : Où l'on prend de la distance par rapport au voyage, car se pose la question du sens...
Acte 5 : Où le voyage se donne à lire. Indéfiniment différable, reporté, reproduit, parce qu'il a eu lieu et s'est produit comme texte.... (FILIGRANES N°5 " Actes de voyage ")

 

            E... comme Ecriture
Écrire une théorie qui ne "colmate" pas : choix de l'écriture fragmentaire.
Écrire la théorie par fragments ; laisser ouvert l'espace inter fragmentaire incitant le lecteur à la mise en relation. Suspendre le texte avant l'instant crucial où prétextant découvrir l'objet, il le masque. Opposée à l'idée de totalité, l'idée de dispositif d'accueil et d'assemblage de fragments : en cercle, spirale, damier, arbre, chaîne, selon le numérique, l'alphabétique, l'aléatoire, par taille croissante...

 

 O... comme Origines
Et d'abord des mots lancés sans hasard : anamnèses, sous-jacences, mythes, genèses, nourritures, références... L'hypothèse fut faite que tout texte possède / procède d'un ombilic, qu'il est motivé. Un sens se dit, un sens se lit, nous lie, dans le retour à contre sens, vers l'ombilic originel, adresse d'un indicible destinataire premier. Mais ce supposé retour en arrière est comme un pas en avant, car maintenant le texte existe. (FILIGRANES N°9 "L'ombilic du texte")

 

          R... comme Réalité
Le point commun entre théorie et fiction, serait leur caractère "d'invraisemblance", de non réalité, de fictivité, opposé à la pratique. Théorie et fiction : deux façons différentes de ne pas tenir compte de la réalité tout en en parlant sans cesse, de ne pas se laisser enfermer dans une vision trop étroite des choses, deux façons de contourner l'incontournable. Deux grilles de lecture différentes pour dépasser l'enfermante immédiateté de la réalité.

Si voir, c'est questionner le monde sur ses apparences, écrire serait donner à lire une ambiguïté, une épaisseur, une non transparence, qui sont les réponses mêmes du monde "avec sa part d'obscurité irréductible." (Philippe Jaccottet)
Ecrire pour donner corps à d'autres savoirs. Ecrire pour se voir sous le masque des mots. Découper le réel avec la langue, le faire advenir dans la langue, car, semblable à l'oeil qui crée l'image regardée, le texte crée le monde qu'il évoque [...]  nous révèle ce que sans lui nous ne verrions pas. (FILIGRANES N°16 " Les yeux quand ils s'ouvrent")

 

             I... comme Interprétation
La lecture comme interprétation créatrice.

Il fallait, pour une fois, renverser les rôles.
- As-tu pensé qu'ils s'inversent sans arrêt dans la vie, mais que cette inversion se fait à notre insu, autour du livre, dans cet espace intermédiaire où transitent tous les sens possibles et d'autres encore, innommables sans doute? Sens que ni scripteur ni lecteur ne maîtrisent totalement. As-tu pensé que, lisant le livre, tu l'écris à ton tour, pour toi et en silence? Personne n'en saura rien...
- Quand je lis, face au texte présent de l'autre, il y a mon texte absent. Absent, il est là sous la cendre: tout a déjà été écrit, brûlé. (FILIGRANES N°6 "L'écriture du lecteur")

 

            E... comme Espaces
Lieux lointains, lieux passés réinventés, alternent dans le présent du texte. Même si tout texte, lecteur, te propose une géographie et une histoire à explorer, le lieu du texte sera celui de la non localité fondamentale: ici est tourné vers ailleurs, hier adossé à demain.
FILIGRANES N°10 "Ailleurs et autres lieux"
Autrement dit, l'écriture serait un détour d'une intime durée dans nos royaumes d'énigmes et d'innocence, où chacun pourrait lire son identité dans tout ce tu qu'il porte en lui et qu'il cherche à se dérober à lui-même par écrit.
Alchimie souterraine, humaine tentation que d'écrire pour savoir, pour nommer l'innommable. Et le texte ne garderait aucune trace apparente de ce combat entre soi et soi ? (FILIGRANES N°15 " Terres secrètes")

 

            F... comme Filigranes
Le thème, métaphore productrice.
Le thème, qui permet de dépasser le thème et le texte, est un franchissement. Le thème, c'est l'impossible consensus auquel nous aspirons, et où nos discours, malgré tout, parviennent à se recouper. (FILIGRANES N°8 "Mémoire d'encres")

             I... comme Imaginaire
L'histoire du corps de l'autre implique aussi le nôtre. Nous travaillons contre le vent à écrire la vie, quand morts et folies sont à dire. (FILIGRANES N°11 "Nourritures")

             C... comme Complexité
"Pas de théorie sans fiction" (Mannoni), donc inséparabilité, osmose, éclairages réciproques de l'une à l'autre.
La théorie serait ce qui donne fondement et nécessité à la fiction. Et inversement, la fiction offrirait une existence, "un être-là" à ce que sans elle on ne pourrait appréhender. "Pas de fiction, sans théorie", même non conscientisée, empirique...

Correspondre, n'est pas seulement écrire, mais c'est aussi écrire. C'est risquer l'échange, entendre l'altérité. C'est traduire le désir en signes, à la fois précaires et définitifs, lettre à lettre, langue à langue. C'est (s')ouvrir sur l'Autre et lui signifier sa présence à soi, en soi, en lui. (FILIGRANES N°12 "Correspondances")

 

             T... comme Traduction
Les textes comme reconquête par chacun de ses propres territoires de langue, sur les marges de la langue commune, normée, normalisée... Si TRADUIRE devait se penser comme superposition de textes, ou calque de langues, nous plaiderions alors pour l'écart, le reste, l'impossible gémellité. Je ne puis être le même que parce que je suis autre. (FILIGRANES N°7 "Entre l'écrire et le traduire ")

 

             I... comme Intertexte
Ecrire pour expliquer, raconter ou répondre à d'autres textes ? Ecrire pour entrer en dialogie.

"Le paradoxe est ici de la forme: plus je crois aux héros, plus c'est en moi-même que je crois. Plus j'imite, d'une imitation active, délibérée, construite [...], plus c'est moi-même, de moi-même que je construis." Philippe Lacoue-Labarthe "L'imitation des modernes"
Chacun sentira, au chevet de son texte, la présence d'ombres, un pouvoir fluide qui circule, une intertextualité à l'oeuvre. Des affinités se nouent, des analogies se découvrent, une connivence s'instaure.(FILIGRANES N°14 "Z'auteurs fétiches")

..... " Sur les pas du palimpseste ". Explorer ce territoire de la transtextualité, en ce sens que chaque pratique d'écriture est à sa manière lecture active de textes antérieurs qui la précèdent et dont elle procède. (FILIGRANES N°4 "Mots de passe")
Fonction signal du mot de passe. Il est l'incipit qui ouvre sur le mythe. Il installe des relations, fait sauter des verrous, évoque des frontières, des ruptures, des intersections. Point de contact, il prétend que dans son contexte, des choses peuvent se dire qui le précèdent et qui le suivent. Il réunit  et rassemble des fragments de sens épars qui, sans lui, seraient perdus, oubliés.
(FILIGRANES N°13)

 

            O...comme Ordre
Fiction et théorie postuleraient chacune à leur manière un ordre, une cohérence des choses. Permanence des formes, des noms, des objets que l'on retrouve.

"Ecrire, penser l'ordre du monde en usant de la langue. Recherche inscrite à jamais au coeur des hommes. Obstiné devoir d'humanitude. Écriture toujours recommencée des commencements, pour que s'engendre une suite, un devenir, une possible fin. Ligne de démarcation entre ordre et désordre, entre visible et invisible, advient le texte, surgit le sens, s'énonce un savoir toujours plus complexe sur soi, sur le monde." (FILIGRANES N°17 " Écrits des commencements")

 

            N...comme Nomination
"Le nom est le temps de l'objet" (Lacan)
Théorie et fiction passeraient par les mots, par la nomination. Le discours théorique et le discours fictif "parlent" l'objet assujetti à leurs découpages.

 

Odette et Michel NEUMAYER
Juin 1990

 

 

 

FILIGRANES  (filigran) n.m. (1673) du lat. "filigrana" fil à grain).Ouvrage fait de fils de métal (argent ou or),de fils de verre,entrelacés et soudés. Dessin qui apparaît en transparence dans certains papiers.

(Fig.) Lire en filigrane, entre les lignes, deviner ce qui n'est pas explicitement dit dans le texte.

 

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