"Entre deux mots, le blanc
Dort une éternité.
Le silence y veillit.
Personne".
Marcel Migozzi,
Qu'est-ce qu'on imagine, écrire ?
Deux rives : ”Au milieu coule une rivière”, étirant paisiblement ses eaux. Vision idyllique !
On raconte qu’à l’origine était un grand Tout. La Terre Mère. Une séparation ou un arrachement advint qui permit la différenciation. La terre, le ciel enfin reconnus. Ainsi les choses purent exister. Le temps était né dans de mouvantes limites, toujours à se toucher.
Dans notre entendement, la frontière est tracée comme une ligne nette, durable. Fixée une fois pour toutes… Or la réalité dément cette représentation, ruine le désir égoïste et fou de se mettre à l’abri d’un même côté du trait, du mur.
Fruits d’un entre-deux initial, nous ne sommes jamais d’un seul tenant, mais toujours (ou presque) entre deux… mers, guerres, cœurs, mondes, dates, infinis… Ballotés d’un bord à l’autre, en deçà, au-delà, astreints à des choix de pays, de nationalité, de religion, de langue.
Déchirés, nous le sommes. Ce serait là le point de départ de notre capacité à envisager les pluriels et à les relier. Naissent alors d’autres espaces, d’autres utopies, d'autres rêves.
Dans ces états intermédiaires tout peut advenir : mélanges, bifurcations, fécondations. Édouard Glissant aurait parlé de créolisation. Pour les décrire, notre imagination est fertile , mais quel angle, quel point de vue choisir ? Un côté, l'autre, au-dessus ? Sirius ? Quels mots, figures, récits, poèmes ce choix entrainera-t-il ?
On collera au thème ou on tentera de trouver son chemin dans la langue, entre les langues. La langue, justement, tétée avec le lait maternel, apprise à l’école ou à coups de crosse. Là encore, écartèlement ou interaction salvatrice. L'une, jamais traduction transparente de l’autre.
Pour sortir des dilemmes, voire de l’enfermement, une solution paradoxale : choisir son camp, celui de nommer et ainsi introduire la nécessaire distance, cerner les contours, donner corps à l’écart en prenant pouvoir sur lui. Les mots le permettent. Ce qu’ils révèlent en passant le pont, c’est que l’écriture se moque des rivalités, prend acte de ce qui a eu lieu et redistribue à son gré le chaos.
Dans ces déplacements, le lecteur retrouve l’auteur autour du texte offert. Qu’il l'observe, et en fasse son miel ! Peut-être comprendra-t-il mieux ses propres cheminements, hésitations, interdépendances.
Odette et Michel Neumayer
Carnoux, le 28 mars 2011