"(…) Car les véritables
souvenirs ne doivent pas tant
rendre compte du passé que décrire précisément le lieu
où le chercheur en prit possession."
Walter Benjamin, Denkbilder
Il semble que certains
anniversaires aient plus d'importance que d'autres. À Fili, nous sommes
un peu comme ce centenaire qui s'étonnait de vivre encore… et pourtant
notre revue n'a que 25 ans ! La tendance en pareil cas est de regarder
par-dessus l'épaule le chemin parcouru, mais d'un commun accord, nous
avons décidé de lier passé et futur sous l'intitulé "Archives d'avenir",
tant il est vrai que ce que le passé a fait ou n'a pas su faire
interroge l'avenir.
Dans notre quotidien, la
preuve a un aspect matériel, palpable, irréfutable. Elle atteste qu'un
événement a eu lieu, c'est l'intime conviction contre le doute et la
dénégation. Faut-il pour autant hausser au statut de preuves des traces
accumulées sans réelle volonté de faire archive ? Derrière des traces en
apparence inoffensives : une réalité est en attente d'hypothèses et de
sens ; pour que la preuve existe, il faut quelqu'un qui sache les lire.
Un jour, dans le feu de
l'écriture, au moment où on ne s'y attend pas, des lambeaux de vérité
font résurgence. Ce n'est pas notre mémoire qui nous joue des tours,
mais seulement une image qui s'impose, ramenée à la conscience. Quel est
alors le "je" qui s'obstine ?
Alors, nous nous faisons
poètes de l'infime et du détail comme pour réaffirmer la force
suggestive du fragment, la valeur du peu. Nous acceptons que l'inachevé
nous "habite et nous obsède". Il est appel. Il nous séduit. Il nous
retient. Et nous nous engageons.
Même si la discrète censure
du temps a déjà fait son œuvre, témoigner, dire et garantir que cela
fut, reconstituer avec minutie, est devenu notre lot et notre tâche.
Dans un monde en recherche d'identités, de quelles singularités nos
textes portent-ils témoignage ?
Odette et Michel Neumayer
Carnoux, le 22 novembre 2009