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Avancer
de poème en poème
comme un funambule
sur sa corde


Cursives 66
Entretien avec José-Flore Tappy

 

José-Flore Tappy est née à Lausanne en 1954. Elle travaille dans la recherche littéraire et l'édition de textes à partir d'archives d'écrivains, au Centre de recherches sur les lettres romandes (Université de Lausanne). Elle a conçu et réalisé l'exposition Jaccottet poète qui présentait en 2005 à Lausanne d'une part les années de formation de Jaccottet et ses interlocuteurs privilégiés - maîtres, amis, artistes, éditeurs -, d'autre part son travail d'écrivain à partir d'un choix de manuscrits. En collaboration avec Marion Graf, elle a réalisé une Anthologie de la poésie en Suisse romande depuis Blaise Cendrars, publiée en 2005 chez Seghers. Elle a publié 4 recueils de poèmes Errer mortelle, Pierre à feu, Terre battue et Lunaires et un cinquième recueil intitulé Hangars va paraître à l'automne 2006. Elle a écrit également des textes consacrés à des artistes et traduit des poètes de langue espagnole ainsi que la poétesse russe Anna Akhmatova. Elle a bien voulu prendre le temps de répondre à nos questions.
 

   

 

 

 

  

Une ignorance
jamais comblée

 

Filigranes : Vous avez déjà derrière vous 4 recueils de poésie publiés et un livre écrit en collaboration avec un sculpteur. Y a-t-il eu un moment inaugural où vous avez pris conscience que vous étiez poète ou bien est-ce venu progressivement, peut-être grâce en partie au regard d'autrui ?

José-Flore Tappy : J'ai toujours eu de la peine à me désigner comme "poète". Le regard d'autrui, l'atten-te qu'on a de vous sont, en revanche, déterminants, et surtout le Prix C. F. Ramuz de poésie reçu en 1983, qui a entraîné la publication de mon premier manuscrit. À partir de là, vous devenez pour les autres quelque chose - ou quelqu'un de plus précis. Mais suis-je "poète" ? Voilà un mot bien trop grand, ou bien trop petit… On est tant de choses à la fois, et des choses tellement ordinaires ! Disons que j'écris de la poésie.

Filigranes : Comment définiriez-vous le fait d'être poète ? est-ce un métier, une tâche, un état intermittent, un mode d'être … ?

J-F.T. : Pas un mode d'être… je dirais un état intermittent. Comme une sorte de vie parallèle, discontinue, en retrait de la vie publique. Autant l'activité sociale privilégie la rapidité, la sûreté de soi, la réussite, la ligne droite, autant l'écriture, elle, s'élabore dans le doute, le détour, l'inquiétude, à l'écoute des discordances qui nous fragilisent. Mais c'est la vulnérabilité qui rend humain… Pour ma part, j'ai toujours eu besoin d'entretenir cette activité souterraine, lente, patiente, qui permet une communication différée, loin des pressions extérieures : une communication où les mots, la parole ont le temps de mûrir.
Lorsqu'on publie, qu'on entre dans le monde du livre et des transactions éditoriales, écrire devient aussi un métier ; mais je préfèrerais le mot " travail ", qui dit mieux le labeur, l'effort, l'incertitude, une ignorance jamais comblée, et la peur devant le vide… " Métier " pourrait faire croire à un " savoir-faire ", qui n'existe pas…


Filigranes : Qu'est-ce qui peut faciliter l'écriture de textes poétiques ? quel a été pour vous le terreau nourricier ?

J-F.T. : J'ai beaucoup lu de poésie, souvent en traduction : les poètes espagnols - Machado, Lorca, Alberti, Jiménez - les poètes grecs, portugais, latino-américains - la Chilienne Gabriela Mistral, le Neruda des Hauteurs de Macchu Picchu et des poèmes d'amour, Roberto Juarroz, - et aussi Kathleen Raine, Emily Dickinson, Anna Akhmatova… et bien sûr les poètes de langue française. La lecture nous apprend tout. Ceci dit, je dois à ma profession une distance salutaire et une rigueur essentielle dans le travail des mots. La formation universitaire m'a beaucoup apporté : à cultiver la disponibilité d'esprit, à développer le sens critique, loin des préjugés et des amalgames, à faire preuve d'exigence. Écouter les œuvres, entendre la voix d'autrui sans la parasiter, aiguiser son discernement par l'intelligence des textes, tout cela m'a aidée à trouver ma propre voix.



Tenir les mots devant soi comme des lanternes

Filigranes : L'échange avec d'autres poètes, avec des lecteurs joue-t-il un rôle important pour vous ? De quelle façon ?

J-F.T. : Peu… c'est un dialogue que je mène avec moi-même, le plus loin possible du regard d'autrui. Une fois le livre publié, bien sûr c'est différent, là les retours sont un grand signe d'encouragement, et donnent un sens à tout ce temps qu'on a gardé pour soi, passé dans le repliement et la solitude.

Filigranes : L'activité de recherche que vous menez est-elle un aiguillon pour l'écriture poétique ou menace-t-elle d'empiéter sur elle, de la tarir ?

J-F.T. : Non, elle ne la menace pas, ni ne la tarit. Elle la suspend plutôt. Ce qui entrave l'écriture, c'est une vie active sans espace vide, sans temps " mort " (on devrait l'appeler plutôt " temps vif "…), sans retrait possible. Parce que la parole intime naît de ces interstices où le regard d'autrui n'a plus lieu d'être. Pour écrire, ou se mettre en condition d'écrire, il faut une qualité de concentration très particulière et difficile à trouver, une concentration à la fois flottante et lucide, un état de réceptivité, ou de perméabilité sans entraves. Après quoi tout commence… parfois sans résultat. La vie sociale n'a pas de place pour un processus aussi aléatoire.

Filigranes : Ce qui frappe le lecteur dans vos poèmes, c'est à la fois leur dépouillement et leur densité concrète, souvent aussi leur polysémie, leur résonance qui se prolonge. Comment naissent vos poèmes ? est-ce une sensation qui s'impose et cherche à se formuler ? une alliance de mots ? une disposition mentale qui a besoin de l'écriture pour s'élucider ?

J-F.T. : Je ne sais pas… c'est difficile à saisir, pour moi. Sans doute un peu tout à la fois. Je dirais tout de même que la sensation de départ est un levier majeur, mais que l'émotion, souvent trop forte, trop douloureuse, trop vive, a besoin de se construire pour être traversée. Rien de cartésien ni de très rationnel, au contraire : une plongée dans l'obscur, tâtonnante et peu sûre. Les mots sont un peu des lanternes, des falots qu'on tient devant soi pour avancer et tenter de voir.
Je pense souvent à cette formule d'Edmond Jabès : " remonter la filière de l'opaque… ". C'est exactement cela.



Il faut que les poèmes m'habillent
 

Filigranes : L'importance dans vos poèmes des sensations tactiles, des expériences corporelles, correspond-elle à votre rapport au monde ou est-ce le désir de contrecarrer ce que le langage peut avoir d'abstrait, d'évanescent ?

J-F.T. : C'est une manière de vivre le monde, j'ai besoin de le ressentir physiquement avant de pouvoir le penser. Les mots me viennent d'abord du corps, d'un rapport très empirique aux choses, avant de passer à une forme plus réfléchie.
Dans sa fulgurance, le poème, cette unité de temps plutôt brève, devrait à mes yeux restituer la pointe aiguë d'une émotion, sans détour discursif. J'aimerais pouvoir noter les choses avec le moins de distance possible entre la réalité, le lecteur et moi. Il y a là une forme de mimétisme corporel, il faut que les poèmes m'habillent, que je les sente autour de moi, pas seulement dans ma tête ; je les enfile, je regarde si ça va ou pas, s'ils sont seyants, ni trop grands ni trop étroits. C'est comme le vêtement d'un état d'esprit que je veux retrouver, éprouver.
La silhouette du poème sur la feuille, sa place dans le livre doivent aussi répondre à une nécessité impérieuse : j'hésite longtemps avec les coupures, les rythmes, les enchaînements, le martèlement des mots, jusqu'à ressentir comme une percussion sur la page, même douce. J'aime la parole dans l'espace, une parole charnelle, même si elle devait être frugale…

Filigranes : Certains de vos poèmes sont très riches en images, d'autres en sont presque dépourvus. Que pensez-vous du rôle de l'image dans l'expérience poétique ?

J-F.T. : J'ai, comme beaucoup, un rapport très ambivalent aux images. Elles s'imposent à moi soudainement et me donnent envie d'écrire. L'image est donc vitale, elle met en mouvement. Mais elle est aussi parfaitement insuffisante, et parfois trompeuse : on la croit originale alors qu'elle est tout à fait convenue, elle devrait ouvrir la pensée alors qu'elle la clôture, elle fixe l'imaginaire au lieu de le relancer. J'aime les images, et m'en méfie. Disons qu'elles sont un point de départ - jamais un but, une finalité.
Dans l'expérience poétique, le recours aux images répond, je crois, à une nécessité existentielle profonde, celle de colmater une faille, de réparer un monde déchiré. En rapprochant par une sorte d'étincelle des choses disparates ou différentes, la métaphore les fait entrer en connivence. C'est le vieux rêve d'un monde unifié, où tout s'appelle et se répond… Ce rêve, il nous taraude, dans l'inconscient.




Une inquiétude rugueuse
 

Filigranes : Vous semblez influencée par les haïku, dont certains de vos poèmes ont la brièveté et l'absence de partis pris, mais par ailleurs vous n'hésitez pas à dire " je " et, notamment dans Terre battue, à donner accès à une expérience qui semble très intime : y a-t-il pour vous alternance entre retrait en soi et observation du monde ou s'agit-il de deux faces indissociables d'une même écriture ?

J-F.T. : J'ai lu, bien sûr, les haïku, mais m'en sens au fond assez éloignée. Je m'implique trop personnellement, et avec une véhémence parfois qui n'a rien d'asiatique ! En revanche, je cherche toujours à dépasser le " moi " biographique. Il y a une quête de l'impersonnel, pour moi, dans l'écriture, un " je " qui tendrait presque à l'anonymat.
Pour transmettre une émotion, - non la communiquer, mais la transmettre - je dois dépasser mon individualité, la dépouiller de tout ancrage anecdotique, et chercher l'autre en moi qui va donner à mon vécu sa dimension de partage. Trouver la bonne distance avec ce " je " intime, c'est à cela que le travail d'écriture m'oblige, me contraint. Si on y parvient, on se tient compagnie avec beaucoup plus d'aisance, on retrouve un équilibre. La poésie préfigure quelque chose, le joue, et par cette représentation le répare.


Filigranes : On ressent parfois une osmose entre le paysage et l'humain : le paysage est un corps, le corps devient paysage, le soi et le monde s'interpénètrent. Y a-t-il pour vous des paysages matriciels, qui vous touchent intimement ?

J-F.T. : Les paysages désertés, ou les plus pauvres.

Filigranes : On est sensible en vous lisant à une certaine violence génératrice de souffrance : l'écriture joue-t-elle pour vous un rôle cathartique ou est-elle plutôt du côté de la dénonciation ou au contraire de la quête d'une certaine paix ?

J-F.T. : L'intensité d'une émotion, même heureuse, a quelque chose de violent, et d'anarchique. L'indignation, la révolte, un sentiment d'impuissance face au monde ont besoin de s'exprimer ; alors j'aligne mes mots comme des cailloux. Je peux comprendre les jeunes qui lancent des pierres dans les vitrines. Comment parler parfois ? se faire entendre ? traverser un mur d'indifférence ? Il m'arrive de vouloir serrer mes mots comme des poings, à d'autres moments je voudrais leur donner la légèreté d'un murmure. Cette violence, les mots vont s'efforcer de la pacifier ; pas la refouler ni l'atténuer, juste l' " orienter " en lui donnant un lieu, un gîte où s'abriter.
Il y a aussi un préjugé de l'unité intérieure. On est divisé, complexe, paradoxal. Écrire serait une tentative de coordonner ces parts de soi qui se déchirent, de les écouter, de transformer leur fragilité en force, en cohésion. Henri Michaux a cette belle formule: " on veut trop être quelqu'un " (dans la postface de Plume) ou encore celle-ci que je ferais volontiers mienne : " Moi n'est qu'une position d'équilibre, un mouvement de foule. Je signe ce livre au nom de beaucoup ". C'est magnifique !




Chercher l'autre en soi
 

Filigranes : Quelle place occupent les mythes dans votre recherche ? ils semblent présents en filigrane, de sorte que votre poésie allie souvent la simplicité du quotidien et la force élémentaire des mythes.

J-F.T. : Je ne réfléchis pas " culturellement " quand je travaille, et n'ai pas d'intentions. Cela dit, on est imprégné de cette culture, elle nous modèle et nous structure inconsciemment. Mais quand j'écris, je n'ai aucune " visée ", aucun sujet. C'est là ma limite, ma grande difficulté, et l'une des raisons, peut-être, de la rareté de mes livres.
Cependant les mythes, parfois, rencontrent la vie, et viennent à sa rescousse. Ce ne sont jamais des projets esthétiques, ou thématiques. Juste un écho à une expérience existentielle, qui m'aide soudain à la formuler de manière plus universelle (en me dégageant précisément de l'emprise du biographique). Par exemple, la femme de Loth à qui est dédiée la première partie de Terre battue. Changée en statue de sel pour avoir regardé derrière elle, elle a figuré de manière emblématique une expérience intime : la nostalgie pétrifie. Pour continuer à vivre, surmonter une perte, une rupture intérieure, aller de l'avant, il faudrait parfois oser tout lâcher, se quitter. La terrible tentation de s'accrocher au passé, de vouloir retenir ce qui s'éloigne, voilà un peu le thème de Terre battue. Et dans le mythe biblique, les figures de Loth et de sa femme fuyant Sodome en feu, l'un marchant droit, l'autre se retournant pour voir une dernière fois la maison qu'elle abandonne, mue par une déchirante nostalgie, m'impressionnent. On peut s'identifier tour à tour à chacun d'eux.
Le vent, dans la deuxième partie, représente peut-être ce mouvement nécessaire, à la fois rassérénant et menaçant, respiration vitale et précarité de toutes les certitudes.

Filigranes : On sent dans Lunaires un rythme parfois plus ample et plus véhément que dans Terre battue : est-ce dû à l'origine de ce recueil, né d'une collaboration avec un musicien ?

J-F.T. : L'origine du livre a été un travail dramaturgique. D'abord la traduction en français du Pierrot lunaire de Schönberg d'après le livret allemand d'Otto Erich Hartleben, ensuite la création d'un nouveau " Pierrot lunaire " mis en musique par le compositeur Jacques Demierre. J'ai écrit 21 poèmes, intitulés Pierre eau lune air, de manière tout à fait autonome et recluse, le compositeur créant la musique ultérieurement, à partir des textes achevés. On ne peut donc pas vraiment parler de collaboration, mais plutôt de destination. Le fait d'écrire pour la scène, et une scène lyrique, de confier mes textes à une voix humaine, à des musiciens et des instruments, cela a sans doute conditionné l'intonation des poèmes, leur a donné une ampleur que probablement je n'aurais pas osé pour moi seule. Je suis sortie d'une certaine retenue.
Le livre ensuite s'est construit très différemment, les 21 poèmes initiaux en ont fait naître d'autres, tout a changé, mais il est resté sans doute quelque chose d'une sonorité plus libre, ou plus émancipée, en tout cas moins confidentielle qu'à l'accoutumée.

Filigranes : Qu'apporte à votre poésie le contact avec d'autres formes d'art (musique, arts plastiques) ?

J-F.T. : J'aime tous les arts plastiques, mais particulièrement la sculpture, pour ce corps à corps avec la matière, pour la puissance des éléments d'atelier proches de l'univers ouvrier - poussière, plâtre, bronze, fer, marteaux, gradines, feu… -, pour cette tension permanente entre la structure et la masse, l'épure et l'élémentaire. Il y a comme une inquiétude qu'on peut toucher, rugueuse, pleine d'aspérités.

Filigranes : Votre poésie semble à certains égards plus méditerranéenne qu'helvétique ? est-ce dû à des circonstances de votre vie ou à votre imaginaire personnel ?

J-F.T. : Les deux à la fois (car tout se tient, en vérité, - les faits, le destin, l'imaginaire…). Ce qui m'interpelle toujours dans le paysage méditerranéen, c'est qu'il n'a rien de paradisiaque, contrairement aux idées reçues : dur, aride, brûlant, il sollicite une réponse vigoureuse, une attitude de résistance.




"Remonter la filière de l'opaque… "
 

Filigranes : Comment composez-vous vos recueils ? l'organisation est-elle pensée d'emblée ou naît-elle peu à peu ? Avez-vous en tête des destinataires précis ?

J-F.T. : Non, je n'ai en tête ni destinataires ni destination. Je vis longtemps sans rien noter, sans idée préconçue, laissant la vie se déposer en moi ; puis, presqu'à mon insu, des bribes de perceptions, de sensations accèdent au langage. Je me mets alors à noter, sur n'importe quel support, sans plan ni méthode, parfois durant plusieurs années… S'accumule ainsi tout un matériau hirsute, désorganisé, sauvage, non contrôlé. Comme une semi-conscience qui viendrait s'archiver sous mes yeux et sur laquelle finalement je vais travailler.
J'avance ainsi de manière incohérente, triant une poussière verbale informe, sans savoir ce qu'il en adviendra: il s'agit seulement de trouver des repères dans une sorte de vagabondage désorienté à l'intérieur de soi. Les situer de manière provisoire : chaque poème est pour moi comme un auvent, un abri transitoire pour poser mes outils.
Brouillons, ratures, corrections, tout doit rester visible jusqu'au dernier moment. Une sorte de palimpseste infini… Ces couches successives, ces strates m'enveloppent, posent comme un brouillard autour de moi, ou comme un filet serré de mots tendu sur le vide, à quoi je m'accroche.

Filigranes : Vos poèmes n'ont pas de titre : est-ce parce qu'ils ne sont que des éléments d'un ensemble plus large, doté lui d'un titre ou d'un numéro ?

J-F.T. : C'est que les poèmes ne sont pas écrits séparément les uns des autres. Ils avancent tous à la fois, parallèlement. Comme un seul texte, que j'aurais fragmenté sur soixante pages. Je travaille énormément la construction du livre : le passage d'un poème à l'autre, leurs transitions, leurs contrastes, - et cherche longtemps la plus grande tension possible entre eux. Les poèmes ne sont pas des unités séparées. Au fond, ils racontent une histoire… Un titre leur donnerait une autonomie, une indépendance qu'ils n'ont pas. Idéalement, je voudrais qu'on puisse lire mes livres de la première à la dernière page, dans un mouvement linéaire. A cet égard, je ne fais pas grande différence entre la prose et la poésie. Un recueil est un texte qui se projette en plusieurs éclats, un peu comme les pulsations du cœur.
Je voudrais (mais est-ce que j'y parviens vraiment?) tendre les poèmes d'un livre comme une corde, et que les silences - tel l'air autour d'un fil, d'un câble - les fassent vibrer en suspension.


Filigranes : Quand savez-vous qu'un poème est terminé ? vous arrive-t-il de retoucher un poème quand vous relisez les épreuves, ou quand vous rééditez un recueil ou préférez-vous ne plus regarder en arrière ?

J-F.T. : Au moment d'une réédition, il est très rare que je retouche. Mais sur épreuves, avant la première publication, oui, tout bouge jusqu'à la fin. C'est un état de veille permanent, presqu'une insomnie, jusqu'à l'impression. Le livre seul peut m'arracher au manuscrit, et marque un cran d'arrêt dans ces sables mouvants.

Filigranes :
Du point de vue littéraire, définiriez-vous la Suisse comme une île ou comme un carrefour ?

J-F.T. : Un carrefour , avec de multiples passerelles entre les régions, les langues, les cultures. On est rapidement dépaysé en Suisse, une centaine de kilomètres et on peut se sentir à l'étranger dans son propre pays, comme on peut se sentir chez soi avec des compatriotes qu'on ne comprend plus…
D'où l'importance du " relatif " et de la différence. Il est difficile en Suisse de cerner un esprit national (et c'est tant mieux). On est constamment amené à comparer, à distinguer, à traduire, à déchiffrer… De nombreux écrivains suisses sont d'ailleurs d'excellents traducteurs.

Filigranes : Est-il facile de concilier l'activité professionnelle et le travail d'écriture ?

J-F.T. : Il faudrait ajouter la vie familiale… mais là c'est un vaste sujet ...

 

Propos recueillis
par Michèle Monte



   
   
 
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Dernière modification : 16 novembre 2010